Depuis octobre dernier, on peut lire et entendre dans les médias québécois des commentaires concernant le mouvement des indignés. La description de l’occupation de ce qui a été renommé la Place du Peuple, aussi connu comme le Square Victoria, forme une grande partie du discours. Cette information descriptive s’accompagne également fréquemment de questionnements sur la pertinence de cette forme d’organisation. J’examinerai ici les justifications de l’existence de ce mouvement des indignés en insistant sur le caractère démocratique et politique des actions des occupants.
Dans nos sociétés occidentales contemporaines, il existe un large consensus sur le bien-fondé de la démocratie et sur l’idée qu’il s’agisse, comme le présentait Churchill, du pire des régimes politiques à l’exception de tous les autres. De plus, on accepte majoritairement l’idée que notre système politique actuel est démocratique puisque la procédure menant à l’élection du gouvernement implique un vote libre, ouvert à l’ensemble des citoyens majeurs, répété périodiquement. C’est pourquoi avant chaque élection le vote est présenté comme privilège sacré. Plusieurs journalistes politiques ne se gênent d’ailleurs pas pour sermonner ceux qui refuseraient d’exercer ce droit. Après des taux de participation décevants à leurs yeux, les premiers à être appelés au banc des accusés sont les « jeunes » (généralement par des éditorialistes ayant depuis longtemps échappé à cette catégorie). Les générations X, Y et Z seraient « nihilistes », « apolitiques », ou trop égoïstes pour se préoccuper des questions sociales ou d’intérêt public. Cette conclusion facile marque, à mon avis, une réalité plus subtile. Ne pas voter, ou ne pas s’impliquer dans un parti politique, peut représenter un refus du système politique actuel. D’autant plus que la représentation politique qui, aux niveaux fédéral et provincial, n’est pas proportionnelle, décourage les nouveaux partis politiques et les idées critiquant l’hégémonie du système actuel. Plusieurs peuvent alors ne pas reconnaître d’option satisfaisante dans les partis ayant une réelle chance de former le gouvernement. Peut-on en conclure que les « jeunes », ou tous ceux qui ne votent pas, n’ont pas d’idées politiques et ne se préoccupent pas des enjeux sociaux? Les mouvements « Occupons » en général, et celui de Montréal en particulier, me donne à penser le contraire. Les « jeunes » y sont fortement représentés et font preuve de plus de créativité et de dynamisme que d’indifférence.
Le mot « démocratie », du grec dêmokratia (gouvernement du peuple), de dêmos (peuple) et kratos (puissance), représente un régime politique dans lequel la souveraineté appartient au peuple (ou à l’ensemble des citoyens). Si nous admettons que chacune des personnes au sein du mouvement des indignés fait partie du peuple, alors force est de constater que les militants encouragent la revitalisation de notre démocratie. De plus, le mouvement s’exprime dans une faille des structures gouvernementales conventionnelles qui ne donnent pas la parole à ceux dont les positions politiques sont marginalisées. L’impossibilité de parler d’une voix unie découle de la multiplicité des positions des participants et de la volonté de ne pas discriminer celles-ci.
Leurs actions consistent à occuper un endroit, à y inviter tous ceux qui le souhaitent sans discrimination, à tenir des assemblées générales, à discuter d’enjeux politiques, à adopter une série d’engagements sur des comportements socio-économiques et à planifier des activités de mobilisation sociale. Chacun de ces gestes peut être qualifié de politique. Le politique concerne la façon dont on régule l’ensemble des sphères de l’activité humaine. Dans le cas de nos démocraties, le parti politique obtenant la majorité des sièges à l’Assemblée nationale du Québec ou à la Chambre des communes du Canada tente d’organiser cette régulation en contraignant les comportements des citoyens par des lois, des règlements, des mesures et des politiques publiques. Des artifices administratifs sont créés pour adopter ceux-ci et le parti temporairement au pouvoir se doit de les gérer.
J’interprète les démarches du mouvement des indignés comme des tentatives d’influencer les façons dont nous concevons la réalité économique afin de modifier nos comportements. Le refus d’avoir un chef a pour effet de rejeter le populisme et l’investissement d’une autorité en un seul individu. La régulation des activités sociales passe alors par une modification des normes sociales orientant les choix individuels. En conclusion, contrairement à la manière qu’on les dépeint – comme « indifférence » –, nous assistons avec le mouvement « Occupons » à une véritable participation citoyenne à la politique. Grâce à eux, jamais l’expression désormais populaire de « faire de la politique autrement » n’aura été tant appropriée, mais aussi nécessaire.
Isabelle Bernard est doctorante en science politique à l’Université d’Ottawa.