Le 19 septembre dernier se tenait une commission parlementaire sur la pratique sage-femme au Québec. Dans ce cadre, les quatre principaux organismes reliés à la pratique sage-femme (les représentants du programme de baccalauréat en pratique sage-femme de l’Université du Québec à Trois-Rivières, l’Ordre des sages-femmes du Québec, la Coalition pour la pratique sage-femme ainsi que le Regroupement Les Sages-femmes du Québec) ont présenté l’état du développement de cette pratique au Québec et ont énoncé leurs recommandations.
Cette commission est née de deux pétitions. L’une d’entre elle a été initiée par la Coalition pour la pratique sage-femme, coalition regroupant plus de 15 groupes citoyens, et a rassemblé plus de 13000 signatures. Ces pétitions rappelaient la pertinence de la présence des sages-femmes dans le réseau de la santé et l’engagement du gouvernement d’ouvrir treize nouvelles maisons de naissance d’ici 2018, comme énoncé dans la politique de périnatalité de 2008. Il n’en existe que neuf actuellement. Il y était aussi réclamé le droit de choisir le lieu de naissance (maison, maison de naissance ou hôpital) ainsi que le professionnel faisant le suivi périnatal : sage-femme ou médecin.
État de la situation et la philosophie sage-femme
La pratique des sages-femmes étant légalisée depuis 1999, les services des sages-femmes sont maintenant intégrés dans le système de la santé. Ils sont donc couverts par la Régie de l’assurance maladie. Les sages-femmes suivent les femmes qui ont une grossesse normale, ce qui est le cas de 85 % des femmes selon l’Organisation mondiale de la santé. Elles effectuent le suivi de grossesse de la conception jusqu’à la sixième semaine post-natale. Elles offrent un accompagnement holistique tant sur le plan psychologique, physique que spirituel des couples. La philosophie de leur pratique repose sur le lien de confiance, la continuité des soins et la base égalitaire entre la femme, le couple et la sage-femme dans la prise de décisions et de responsabilités. Le suivi de la grossesse par une sage-femme permet de réduire les interventions et la médicalisation ainsi que d’augmenter la satisfaction des couples dans cette expérience. De nos jours, alors que 26% des femmes en 2010 disent souhaiter accoucher en maison de naissance ou à la maison, seulement 2 % des accouchements sont actuellement accompagnés par une sage-femme. (selon un sondage SOM)
Où y a-t-il un problème ?
Premièrement, l’aspect financier est une des principales embûches. Lors du 5 mai dernier, la Coalition pour la pratique sage-femme a soulevé qu’une douzaine de projets de maisons de naissance sont déjà mis au point. Toutefois, ces projets n’arrivent pas à être acheminés au gouvernement en étant bloqués par les Agences de santé et services sociaux à cause du financement ou suite à des problèmes bureaucratiques. Autre point d’embûche : la présence de résistances médicales venant des préjugés véhiculés ou de méconnaissances, plus particulièrement sur son aspect sécuritaire. Par exemple, on peut penser au Dr Sabbah, président de l’association des gynécologues-obstétriciens, affirmant le mois dernier dans la revue Enfants Québec que l’accouchement à la maison était criminel.[1] Cet énoncé fait fi de la littérature scientifique sur l’accouchement à la maison et affecte directement le développement de la profession. Il faut savoir que pour chaque maison de naissance, les équipes médicales ont en quelque sorte un droit de veto en choisissant ou non de signer une entente de services en cas de consultations et transferts de soins. Cette entente est obligatoire pour l’élaboration d’une nouvelle maison de naissance. À cela, la Coalition pour la pratique sage-femme (CPPSF) demande au gouvernement de «s’engager à travailler pour lever ce type de résistances corporatives [médicales]». Concrètement, la Coalition suggère «la tenue d’une vaste campagne de promotion de l’accouchement physiologique et de la pratique sage-femme auprès des intervenants du réseau de la santé, des fonctionnaires de tous les paliers gouvernementaux, des étudiants et futurs professionnels de la santé notamment en médecine et de la population.»[2] Pour la coalition, l’inclusion des groupes citoyens dans la mise sur pied d’une maison de naissance est essentielle pour s’assurer que celle-ci reflète les besoins du milieu. Par exemple, la maison de naissance de Limoilou a été construite sans la consultation des groupes locaux et représente aujourd’hui le modèle d’une clinique médicale plutôt que celui d’une grande maison chaleureuse, comme c’est le cas de plusieurs autres maisons de naissances.
Les représentants du programme sage-femme à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) ont souligné un autre problème : le faible taux d’obtention du diplôme. À l’UQTR par exemple, 67% des étudiantes finissent les quatre années de formation dans le temps prévu contre 85 % dans les autres disciplines de santé. La situation inquiétante des étudiantes sages-femmes est ce qui a récemment motivé la formation de leur association étudiante. En effet, l’aide financière ne couvrant pas plusieurs dépenses obligatoires reliées aux sept stages non rémunérés (voiture, essence, cellulaire, portable, parfois double bail) et les contraintes liées au travail sur appel constituant la majorité du temps de formation, rendent leur parcours ardu. À tous ces aspects, les représentants ajoutent le manque de perspective d’emploi stable. En effet, statuts précaires, postes à temps partiel ou postes de remplacement sont la majorité des emplois offerts.
Principales recommandations apportées
Comme les autres organismes, l’Ordre des sages-femmes a demandé du financement pour la recherche et pour la consolidation d’une base de données en périnatalité. On peut penser que cela pourrait amener à l’élaboration de recommandations et de directives cliniques écrites par des sages-femmes et non uniquement par des gynécologues-obstétriciens. Le RSFQ, quant à lui, tout en réaffirmant l’urgence d’ouvrir les 13 maisons de naissance promises, attire l’attention sur le besoin de réfléchir à un modèle différent, adapté aux régions où la population est moins nombreuse. En outre, tous les groupes ont demandé que soit mis sur pied, comme proposé dans la stratégie d’implantation de la politique de périnatalité de 2008, un comité national pour mieux coordonner le développement de la pratique sage-femme et des maisons de naissance.
Finalement, Alexa Conradi, présidente de la Fédération des femmes du Québec et membre de la Coalition (CPPSF), explique bien en quoi les services offerts par les sages-femmes sont vitaux : «[…]le désir et la nécessité de mettre sur pied des maisons de naissance et aussi la reconnaissance du droit des femmes de choisir le lieu de naissance; il s’agit [là], dans la grande tradition féministe, de reconnaître que c’est aux femmes de choisir comment elles assument et disposent des processus naturels de leurs corps.» [3]
La vaste campagne québécoise de sensibilisation sur l’accouchement physiologique et sur le rôle des sages-femmes, proposée par la Coalition, serait un outil essentiel pour aider au développement de la pratique. En attendant que le Ministère de la Santé et des Services sociaux finance cette campagne, il y a lieu de rallier les efforts déjà en cours. Entre autres, de nombreux groupes font des efforts pour sensibiliser leurs élus locaux, les Agences de Santé et Services sociaux, la population régionale.
Voir le vidéo http://www.youtube.com/watch?v=TaxDfzU3Rrs »>Le droit de choisir.
[1] Bussières, I. L’accouchement à domicile «criminel»: sanction réclamée contre un médecin. Le Soleil, 17 octobre 2011.
[2] Tiré du document Le développement des services sages-femmes et la mise en place d’un réseau de maisons de naissance au Québec passe par le partenariat avec les femmes, les familles et les groupes citoyens.
[3]Alexa Conradi, Audition-Coalition pour la pratique sage-femme.