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Recherche universitaire et complicités citoyennes

Par Raymond Beaudry le 2011/11
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Recherche universitaire et complicités citoyennes

Par Raymond Beaudry le 2011/11

Lors de la première édition du Forum social au Bas-Saint-Laurent, nous avons proposé et animé un atelier1 en tant que membres du Groupe de recherche interdisciplinaire sur le développement territorial, de l’Est du Québec (GRIDEQ) qui avait pour titre L’engagement et la recherche universitaire : quelles complicités avec les actrices et acteurs sociaux bas-laurentiens ? C’est sur la nature même de la complicité que nous voulions débattre avec les participants de l’atelier, en nous appuyant sur quelques exemples de recherches qui ont été menées en collaboration avec les acteurs locaux. C’est aussi une position intellectuelle que nous voulions partager, dans un contexte où les universités ne sont pas à l’abri de pressions internes et externes qui tendent à indexer la recherche aux seuls objectifs de la croissance économique, comme s’en inquiétaient récemment Florence Piron et Jean Bernatchez dans une lettre adressée à Rémi Quirion, nouveau scientifique en chef du Québec (Le Devoir du 6 octobre 2011).

De façon plus précise, la question qui nous interpellait dans le cadre de cet atelier est celle de la finalité de la recherche dans un contexte difficile dont certaines contraintes limitent les collaborations possibles entre citoyens et scientifiques, comme le souligne Marie-Hélène Truchon dans son article « De la vulgarisation scientifique à la vulgarisation citoyenne, un atout sociétaire ? »2, paru dans le dernier numéro du Mouton NOIR. Parmi ces contraintes, Truchon évoque une conception dominante de la culture scientifique qui valorise les activités de publication au détriment d’autres activités impliquant les acteurs sociaux. La priorité pour les chercheurs est alors bien souvent de bonifier leur CV afin de se positionner sur l’échiquier de la concurrence. Truchon insiste par ailleurs, avec raison, sur l’importance de la vulgarisation scientifique qui permet aux citoyens de s’approprier la connaissance et d’alimenter le débat public.

Au-delà de cette fonction de formation et d’information, certaines pratiques d’intervention propres aux sciences humaines ont pour ambition de soutenir les acteurs sociaux sur des enjeux du développement tout en les associant comme « signataires » de la recherche. La recherche-action, pour prendre cet exemple, repose sur le postulat qu’il est possible de faire de la recherche hors de l’université et que l’action ne relève pas uniquement du milieu. Ce postulat oblige le chercheur à remettre en question le dogme de l’objectivité scientifique et le rôle ou la finalité de la recherche. Le chercheur ne peut plus alors se situer à l’extérieur de la recherche ; il en fait partie et met ainsi en jeu ses propres positions intellectuelles. Les acteurs sociaux sont quant à eux compris non pas tant comme des objets de recherche, que comme des sujets avec lesquels le chercheur dialogue afin de construire collectivement une réflexion sur des enjeux particuliers.

Ce faisant, il s’agit d’orienter la recherche non pas vers des lieux communs qui lui feraient perdre sa légitimité scientifique, mais vers une participation qui reconnaît l’importance de l’apport des savoirs citoyens dans le cadre d’une réflexion commune sur le monde dans lequel nous souhaitons vivre. Sans prétendre posséder la vérité sur ce que devrait être la bonne manière de concevoir le rapport entre recherche et acteurs sociaux, nous croyons nécessaire de poursuivre le débat sur ce qui nous interpelle tous en tant que membres d’une institution universitaire, mais aussi en tant que citoyens confrontés à des enjeux de société qui concernent tant notre rapport à la nature que tous les phénomènes qui mettent en question le développement de nos territoires.

Le GRIDEQ a fondé son activité sur l’idéal d’enseignement et de recherche promu à la création de l’UQAR, idéal manifesté notamment dans l’accompagnement des mouvements sociaux et la valorisation du développement par la base, avec une sensibilité commune des membres pour l’autogestion et un contrôle du développement pluriel des ressources par, pour et avec les communautés locales. Si les enjeux du développement ont évolué, et avec eux les cadres d’analyse et les pratiques de recherche, les chercheurs de la relève demeurent attentifs aux problèmes toujours majeurs d’inégalités économiques, sociales et environnementales, et partagent l’idée de s’impliquer dans différentes formes de coopération avec le milieu.

Les discussions qui ont eu lieu au Forum social viennent confirmer la nécessité de poursuivre des recherches que nous pourrions qualifier de citoyennes, impliquant l’ensemble des actrices et acteurs sociaux, politiques et économiques. Il s’agit d’inscrire la recherche, avec la complicité des communautés locales, sur des bases de résistance à l’égard des phénomènes qui portent atteinte à notre dignité et à notre volonté d’habiter pleinement les territoires, mais aussi sur des bases d’actions qui soutiennent les projets visant le mieux-vivre ensemble. La recherche citoyenne désigne selon nous plus qu’un simple échange d’informations entre chercheurs et citoyens ; elle vise une participation commune à la création de savoirs et de modalités d’action dont la finalité consiste à préserver l’idée qu’un autre monde est possible.

1. L’atelier était animé par Raymond Beaudry, membre associé au GRIDEQ et Yann Fournis, directeur du GRIDEQ.

2. Voir Marie-Hélène Truchon, « De la vulgarisation scientifique à la vulgarisation citoyenne, un atout sociétaire ? », Le Mouton NOIR, Vol XVII, no 1, septembre-octobre 2011.

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