Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) implante, cette année, le nouveau Programme québécois de dépistage prénatal de la trisomie 21. Dorénavant, toutes les femmes enceintes ayant un suivi de grossesse avec une sage-femme, un médecin ou un obstétricien se verront offrir un test permettant d’estimer la probabilité que l’enfant qu’elles portent se présente avec la trisomie 21 (syndrome de Down). Alors que certains applaudissent cet accès uniforme à un « droit de savoir », d’autres s’inquiètent des conséquences de notre désir grandissant de sélection des naissances. Bien entendu, l’offre systématique d’un dépistage prénatal de la trisomie 21 est un choix social qui soulève de grandes questions éthiques. Quelle vie vaut la peine d’être vécue ? Qu’entendons-nous par « être humain » ? Jusqu’où doit-on aller dans la liberté des choix individuels ? Quel est l’apport des personnes ayant un handicap mental à notre société ? En 2007, la mission d’approfondir ces enjeux fut confiée par le MSSS au Commissaire à la santé et au bien-être. Suite à un travail de fond qui a pris la forme d’une vaste consultation publique, le commissaire et son équipe ont publié un rapport faisant état de leurs réflexions et de leurs recommandations. En voici les grandes lignes.
Différents tests de dépistage de la trisomie 21 existent sur le marché depuis plus de vingt ans au Québec, mais ils sont très disparates en terme de disponibilité et de fiabilité. En uniformisant la situation par un programme national, le MSSS souhaite corriger cette inégalité d’accès à du dépistage prénatal public de qualité. Cela permettrait à tous les parents qui le souhaitent de recourir ou non au dépistage et au diagnostic prénatal, et de pouvoir choisir de donner naissance ou non à un enfant atteint de la trisomie 21. C’est ce que l’on appelle le libre arbitre en matière de reproduction. Suivant ce principe, il est primordial que les parents reçoivent l’information et l’accompagnement nécessaire durant tout le processus afin de faire un choix dit libre et éclairé. Les informations devraient ici concerner les techniques des tests utilisés, incluant leurs limites et leurs risques associés, ce que signifie la vie avec un enfant atteint du syndrome de Down, ainsi que les conséquences psychologiques de l’avortement et du deuil.
Or, selon le commissaire, « il semble que le contexte actuel ne favorise pas un choix libre et éclairé des parents, et ce, pour plusieurs raisons ». Le manque de temps pour transmettre de l’information de qualité, le manque de professionnels pour faire des suivis de grossesse, le nombre insuffisant de conseillers génétiques et le peu de soutien psychologique disponible sont des obstacles évidents. De plus, transmettre une information complète ne suffit pas ; celle-ci doit aussi être comprise. Le dépistage prénatal repose sur un langage statistique, les résultats étant transmis sous forme de probabilités (ex : 1 chance sur 300 que votre enfant soit atteint de la trisomie avec un taux de détection de 85 %, incluant 5 % de faux positif). Cette mathématique du risque est abstraite et extrêmement difficile à interpréter sur un plan individuel. Je ne comprends pas, vous me dites que j’ai 1 % de chance d’avoir un enfant trisomique, mais si c’est mon enfant, n’est-ce pas 100 % ? Ainsi, considérer qu’une information statistique aide les parents dans leur processus décisionnel ne semble pas réaliste. Autre obstacle majeur au choix libre et éclairé : la pression sociale. Le commissaire souligne en ce sens que, dans un contexte de médicalisation accrue de la grossesse et de stigmatisation profonde des personnes ayant une déficience mentale, un consentement libre et éclairé pourrait être un objectif simplement irréaliste.
Un autre point important soulevé dans le rapport du commissaire est la crainte exprimée par plusieurs de glisser vers un dépistage prénatal systématique de plus en plus exigeant qui risquerait de nous entraîner dans un processus eugénique : « Même si la finalité d’un programme de dépistage prénatal de la trisomie 21 n’est pas l’interruption de grossesse, les conditions de pratique la favorisent, et il demeure que le dépistage prénatal de masse s’est traduit, dans différents pays, par une diminution des naissances d’enfants présentant la trisomie 21. »
Le commissaire à la santé et au bien-être avait donc recommandé au MSSS que l’implantation du nouveau programme soit précédé par une amélioration des services déjà en place afin de s’assurer d’abord et avant tout que le consentement des parents soit réellement libre et éclairé, qu’un soutien psychologique soit offert à tous les parents, peu importe leur décision tout au long du processus de dépistage et de diagnostique, et que les tests soient disponibles en temps opportun.
Pouvons-nous prétendre que ces objectifs on été atteints ?
La charge importante que représente, pour une famille, la naissance d’un enfant atteint du syndrome de Down est réelle. Dans une perspective d’autonomie et de liberté en matière de reproduction, retirer, aux parents qui le souhaitent, l’accès au dépistage et diagnostique prénatal afin qu’ils puissent décider pour eux-mêmes serait litigieux. Cela dit, il importe d’être conscient que, dans un contexte général de soumission à la norme, dans une société où les stigmates envers les personnes handicapées sont profonds, la notion de choix libre et éclairé sur laquelle repose l’entièreté du Programme québécois de dépistage prénatal de la trisomie 21 peut être mise en doute. La médicalisation de la grossesse et de l’accouchement est un fait. Les technologies de la santé évoluent plus rapidement que notre capacité à en saisir les impacts réels sur nos vies, transformant la compréhension que nous avons de nous-mêmes. Soyons-en simplement conscients.
Pour poursuivre la réflexion, nous vous invitons à lire l’article « Où en est le développement de la pratique sage-femme au Québec ? » de Mélina Castonguay en ligne sur www.moutonnoir.com.