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Les soins aux personnes âgées en Gaspésie : une dérive gouvernementale inquiétante

Par Pierre Henri le 2011/11
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Les soins aux personnes âgées en Gaspésie : une dérive gouvernementale inquiétante

Par Pierre Henri le 2011/11

Depuis déjà quelques mois, il est devenu évident pour tous que le gouvernement québécois a opté pour une stratégie qui priorise le secteur privé pour l’hébergement des personnes âgées en perte d’autonomie. Durant une période d’environ deux années, dans un passé récent, j’ai agi comme membre du conseil d’administration d’un centre d’hébergement à but sans lucratif régional lequel, depuis plus de 30 ans, offre à ses pensionnaires un hébergement de qualité. Cette expérience m’a permis de comprendre de façon plus approfondie l’ensemble des réalités auxquelles sont confrontés quotidiennement les pensionnaires et les gestionnaires des résidences pour personnes âgées dans notre région.

La disponibilité des services de soins à domicile que dispense de façon très efficace le CLSC régional permet aux bénéficiaires âgés de demeurer le plus longtemps possible dans leur résidence et, au gouvernement, d’économiser sur les soins en centres de santé. Cette nouvelle dimension sociale produit comme résultat que la majorité des gens attendent à l’extrême limite pour intégrer une résidence pour personnes âgées. La plupart des nouveaux pensionnaires y arrivent donc en perte d’autonomie ou le deviendront très rapidement. Les résidences semblables à celle où j’ai participé à la gestion se retrouvent donc dans un tout autre contexte que celui où antérieurement, tous les pensionnaires à leur arrivée étaient autonomes.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) ayant décidé, semble-t-il, de ne plus ouvrir de places en CHSLD se tourne donc vers le privé pour héberger les personnes âgées en perte d’autonomie. Le CLSC régional réserve des places dans les centres d’accueil privés et détermine sur la base de sa propre grille d’évaluation le tarif mensuel pour l’hébergement de ses clients faisant partie de la catégorie Ressources Intermédiaires (RI). Tout est normal, quand un voyageur se présente dans un hôtel pour y passer la nuit, c’est lui qui fixe le prix qu’il paiera pour la chambre. Dans le cas du centre d’accueil que je connais bien, le revenu moyen quotidien des chambres réservées par le CLSC est inférieur au coût moyen de la totalité des chambres de la résidence. Les gestionnaires de l’établissement doivent donc rivaliser d’imagination pour gérer un budget déficitaire sans affecter la qualité des services aux pensionnaires. Tout cela dans un contexte organisationnel marqué par une gestion rigoureuse des ressources.

Il y a quelques mois, alors que le ministre Bolduc répondait à une question d’un journaliste qui lui faisait remarquer qu’au nouveau CHSLD en partenariat public privé (PPP) de Saint-Lambert les préposés aux soins seront payés 12 $ de l’heure, il s’en est lavé les mains en disant que cela relevait du partenaire privé. Il faut faire un effort pour croire que le ministre ignorait lors de l’élaboration du contrat en PPP avec le partenaire privé que les employés seraient payés à la hauteur du salaire minimum. Au moment d’écrire ces lignes, que je sache, deux centres privés pour personnes âgées en perte d’autonomie sont ou seront ouverts dans la Baie-des-Chaleurs et les employé(e)s qui s’occuperont des pensionnaires seront rémunéré(e)s également à la hauteur du salaire minimum, tout comme ceux et celles du centre auquel je collaborais jusqu’à tout récemment.

Force est de constater que le MSSSS, afin de faire des économies budgétaires substantielles, mise sur la promotion du salaire minimum pour les hommes et les femmes qui prennent soin des personnes âgées dans les centres d’hébergement privés de la Gaspésie. Dans les CHSLD, les préposé(e)s aux soins touchent entre 18 $ à 20 $ de l’heure en plus de toute une gamme de généreux avantages sociaux, alors que ceux et celles des centres privés touchent entre 10 $ à 12 $ en plus des seuls bénéfices marginaux prévus à la Loi sur les normes minimales du travail.

Il est impossible pour les gestionnaires des centres sans but lucratif d’augmenter de façon significative le salaire des employé(e)s. Pour ce faire, il faudrait augmenter en conséquence le prix de la pension, ce qui à coup sûr sèmerait la panique parmi la clientèle, bien qu’une partie de celle-ci ait les moyens financiers d’assumer semblable augmentation. Durant la période où je fus administrateur du centre d’hébergement mentionné ci-haut, Nathalie Normandeau, ex-député-ministre de la circonscription de Bonaventure, a contribué efficacement à combler les déficits opérationnels du centre, ce qui par ailleurs illustre bien que le MSSS délègue certaines de ses responsabilités envers les personnes âgées à des établissements tiers dont les employé(e)s doivent se satisfaire d’un salaire indécent et les gestionnaires bénévoles de tenter de résoudre la quadrature du cercle budgétaire.

Ayant réalisé depuis longtemps que le salaire minimum équivaut à la pauvreté, que penser d’un gouvernement qui, capitalisant sur les bas salaires pour s’acquitter de ses responsabilités en matière de soins aux personnes âgées, cultive la pauvreté? Pendant ce temps, de multiples fuites économiques sont constatées dans plusieurs secteurs budgétaires gouvernementaux sans qu’on semble s’en émouvoir en haut lieu comme il serait juste de le faire.

Les administrateurs des organismes à but non lucratif sont des bénévoles qui se dévouent pour une cause en laquelle ils croient. Le bénévolat pour les personnes âgées, j’en suis et j’en serai toujours, mais si cela m’amène à devoir faire du bénévolat pour le ministère de la Santé, alors je perds toute motivation. Dans le réseau de la santé, tous les professionnels sont très bien payés, même dans certains cas de façon scandaleuse, et voici que notre ministre de la Santé ose mettre de l’avant une politique qui crée une catégorie de préposés aux soins de seconde classe, ce dont je refuse d’être complice.

Au cas où il serait tenté de le penser, le ministre de la Santé devrait comprendre que la Gaspésie n’est pas un réservoir de cheap labour pour assurer les soins aux personnes qui ont porté avec courage et abnégation la Gaspésie à bout de bras pendant des décennies. Elles méritent plus de respect de la part de nous tous.

À ceux qui préconisent la syndicalisation pour que les travailleurs de ce secteur voient leurs conditions de travail s’améliorer, je dis que cette proposition est totalement irréaliste pour des établissements sans but lucratif qui connaissent des déficits d’opération et cela, même en payant des salaires irrespectueux en regard de l’importance du travail effectué.

La solution qui respecterait les pensionnaires et les employés des centres d’hébergement sans but lucratif serait que ces derniers deviennent satellitaires-intégrés des CLSC régionaux. De toutes façons, ces derniers y appliquent déjà leur propre loi.

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