Même si c’est devenu un lieu commun dans le milieu des arts visuels contemporains, l’art actuel soulève encore bien des interrogations chez plusieurs personnes qui sont moins familières avec la fréquentation de ces œuvres, ou qui sont toujours aussi déstabilisées devant ces productions artistiques.
L’art contemporain ou actuel, ce n’est pourtant que l’art qui se fait maintenant, à la suite des avancées des différents courants artistiques des autres époques. Et comme dans ces autres époques, il y a des œuvres fortes et d’autres moins intéressantes : des œuvres souvent datées en ce qui concerne leurs préoccupations ou encore sans grande relation avec les enjeux artistiques de leur temps.
Des moments « charnières »
Sans revenir trop loin en arrière, on est passé de la fin du XIXe au milieu du XXe siècle à des productions artistiques dont les approches ont transformé les préoccupations liées à la reproduction réaliste et aux valeurs esthétiques des époques antérieures, même si certaines de ces caractéristiques peuvent aussi se retrouver dans des œuvres contemporaines.
Disons pour faire court que les peintres et sculpteurs modernes du début du XXe siècle tels que Cézanne, Matisse, Picasso, Tatline, Kandinsky, Mondrian, Malevitch et Brancusi ont déconstruit la figuration jusqu’à l’abstraction, pour certains. Ils montraient ainsi que la matière, la manière de faire, les supports ou les matériaux participent tous au sens et à la réalité de l’œuvre, autant, si ce n’est pas plus, que le sujet abordé.
Plus tard, d’autres artistes comme Marcel Duchamp et Andy Warhol ont poussé cette réflexion jusque dans la confrontation du statut de l’œuvre d’art avec le système d’accréditation des institutions artistiques. En déplaçant vers les lieux d’expositions des objets du quotidien usinés, des représentations d’objets de consommation ou de personnalités publiques, ils ont voulu démontrer que « la sphère de l’art n’est plus dépendante de l’esthétique », et que l’artiste « est celui qui signale que seul le lieu d’exposition fait de ces objets des œuvres d’art ».
Les artistes contemporains n’ont fait que poursuivre, à différents niveaux, ces explorations sur le sens de l’œuvre d’art dans des productions en lien avec les courants de la fin du XXe siècle. Une succession, d’ailleurs assez grande, de courants et d’approches tels que l’expressionnisme abstrait, le formalisme, la sculpture minimale, le tableau monochrome, l’art conceptuel, les nouveaux réalistes, la nouvelle figuration, ou encore des approches explorant l’espace par l’installation et l’espace extérieur avec le land art ou par des œuvres in situ. L’art se déplaçait ainsi des galeries et des musées vers le cadre d’un laboratoire plus vaste avec des matériaux souvent éphémères.
De nouvelles façons de s’exprimer, de nouveaux médiums (la photo, la vidéo d’art, la création numérique, les projections, le virtuel, etc.), de nouvelles approches (les installations, les performances, l’art relationnel, etc.) et des notions reliées à l’individualisme, à l’importance de l’intention de l’artiste et à la mise en place de concepts, ont fait leur apparition dans le monde contemporain. Dans l’art d’aujourd’hui, les artistes utilisent dans leur production autant ces autres médiums que ceux de la peinture et de la sculpture. C’est l’éclatement et le mélange des domaines, et comme le disait le critique français Pierre Restany, même « la peinture a besoin de se détruire pour se réinventer ».
L’art contemporain
Dans l’ère postmoderne, l’art actuel est devenu un lieu de communication et d’interrelation avec le monde. « L’un des traits particulièrement marqués de l’art contemporain est de se tenir sur les limites de territoires multiples », écrit Rose-Marie Arbour dans son livre L’art qui nous est contemporain (Éditions Artextes, 1999). Pour d’autres auteurs, l’art actuel tisse même « des liens entre des civilisations anciennes fondées sur la magie et des civilisations (en projet) fondées sur la technique ».
Plusieurs œuvres des artistes d’aujourd’hui sont justement porteuses d’une connaissance sensible de ces transformations ou de ces interrogations propres à la société actuelle. Elles sont le fruit d’un imaginaire où les approches sont ludiques, poétiques ou parodiques. D’autres abordent l’utopie, la figuration d’espaces imaginaires, de lieux improbables ou de mondes atypiques. D’autres encore utilisent un espace-temps réel et vécu dans une approche plus instinctive. Certaines exploitent les analogies, les effets métaphoriques, les processus d’archivage et même les symboles archétypiques.
Selon son contenu, même une suite de tracés sur des post-its collés sur un mur, une projection, un assemblage photographique ou encore une construction de matériaux hétéroclites peut être une proposition intéressante. Surtout quand cette œuvre, reliée à une démarche artistique, réussit à nous toucher par son propos et ses références ou encore quand elle réussit à montrer, par la pertinence et l’inventivité des moyens utilisés, une perception particulière du monde ou une facette intéressante de l’imaginaire et du vécu de l’artiste.
Ne cherchez pas ces qualités et caractéristiques du côté de toutes ces productions visuelles dont les préoccupations sont seulement esthétiques ou illustratives. Le propos et l’intensité des œuvres de l’art actuel sont ailleurs. Ils sont le plus souvent du côté du processus, de l’exploration inventive ou de la singularité. Par différents procédés, ces œuvres cherchent surtout à questionner notre perception du monde autant que celle de l’espace de l’art.
Les approches des artistes sont parfois simples ou au contraire complexes, parfois provocantes ou ambiguës selon des intentions, des références, un concept ou une iconographie, appuyées autant par le cadre de leur présentation que par les médiums ou matériaux utilisés.
Il faut aussi être conscient de la position arbitraire de l’artiste dans le monde de l’art contemporain. Et comme le dit, dans une entrevue récente, l’artiste américaine multidisciplinaire de 64 ans Laurie Anderson, en parlant des artistes : « Il est fascinant de constater que nous devrions êtres libres et ne le sommes finalement pas du tout. Une grande partie du monde des arts est axée maintenant sur le produit. Tu dois travailler ton style, la signature qui te définira et par laquelle on pourra ensuite te critiquer et t’attendre… Il est très important de se rappeler que le monde devient chaque jour plus restrictif, plus paranoïaque et plus dominateur. »
Dans ce contexte et malgré l’influence des choix des spécialistes et des institutions artistiques, vous pouvez développer, par la fréquentation de ces œuvres, un intérêt pour l’art actuel et avoir votre propre vision de la qualité des propositions présentées par les artistes dans les diverses expositions et manifestations artistiques d’aujourd’hui. Vous pouvez aussi être d’accord, ou non, avec l’historienne de l’art québécoise Rose-Marie Arbour quand elle dit que « la pratique artistique et la relation aux œuvres d’art, anciennes ou actuelles, sont un des derniers espaces de liberté, coincés que nous sommes entre la société de consommation et celle de l’information ».