Le fabuleux monde du sportTM fait un usage intensif de la feinte. Les praticiens de plusieurs sports, individuels ou collectifs, ont effectivement recours à ce stratagème vieux comme le monde. La feinte, c’est faire semblant, c’est aller là où personne ne nous attend pour mieux se rendre ailleurs, c’est attirer l’autre sur un terrain différent en ayant pour seule ambition de le duper. Déjà on pense aux combinaisons à la boxe, où il est courant de lancer une série de crochets gauche-droite pour pouvoir enchaîner avec un coup droit dévastateur lancé à la tête d’un adversaire terrassé par tant d’hypocrisie. Au hockey, on ne se lasse jamais de se remémorer les feintes savantes des Maurice Richard, Jean Béliveau, Guy Lafleur et Mario Lemieux qui, grâce à une gestuelle complexe et un strabisme propres aux « marqueurs naturels », arrivaient à faire acheter au cerbère adverse l’idée qu’ils allaient tirer dans le coin supérieur gauche, alors que, vous l’aurez deviné, telle n’était en rien leur intention.
Le football (le vrai, l’américain, avec le ballon ovale et l’équipement de protection) est sans doute le sport qui fait le meilleur usage de la feinte. Chaque jeu offensif constitue une orchestration complexe visant à mystifier l’adversaire. Alors que tout le monde croit en une course au sol, Ô surprise, voici que l’on assiste à un jeu de passe. L’amateur averti pourra d’ailleurs déceler dans les reprises au super-ralenti des feintes à différentes positions : le joueur de ligne qui pousse « subtilement » le bloqueur défensif, annonçant ainsi un jeu au sol alors que, Ô surprise encore, le ballon flotte déjà dans les airs. La plus célèbre des feintes étant celle où le porteur de ballon fait mine de se pousser subrepticement avec le précieux objet alors que celui-ci est toujours dans la main du quart-arrière, qui court maintenant dans la direction opposée pour mieux rejoindre son receveur de passe rendu depuis lors dans les zones profondes. Et vous qui pensiez que le football n’était qu’un sport de brutes sans cervelle !
Ce qu’il faut retenir ici, c’est que dans le sport, la feinte est généralement planifiée et vise à tromper son adversaire pour atteindre un but – dans le double sens d’objectif et de zone des buts.
Or, il arrive que dans le passage de la théorie à la pratique, les choses tournent mal. D’abord, la feinte peut être involontaire ou malvenue. Au baseball, tous les coureurs se voient accorder une base supplémentaire et le lancer vers le marbre est annulé si le lanceur déroge de quelques manières à la chorégraphie officielle. C’est la feinte illégale. La manœuvre peut aussi être tout simplement ratée. Par exemple, un joueur ou un pugiliste risque toujours, en cours d’exécution, d’échapper la balle, le ballon ou la rondelle, ou pire de rencontrer le gant de son adversaire justement là où il ne l’attendait pas, causant de ce fait un revirement, la honte, ou une douleur intense quelque part au-dessus – ou en dessous – de la ceinture. Tel est pris qui croyait prendre est sans doute l’expression qui résume le mieux la situation d’un joueur qui se laisse pour ainsi dire déjouer par ses propres feintes. Certains individus se révèlent d’ailleurs particulièrement habiles, lors d’une échappée, d’un tir de barrage ou d’une penality, à s’emmêler les pinceaux, devant alors composer avec des milliers de partisans déçus, en colère ou, dans le meilleur des cas, empathiques devant l’échec. Sur le terrain ou la patinoire adverse, les moqueries, les rires ou les applaudissements ironiques s’ajoutent au regard atterré de l’entraîneur.
Et que dire de l’usage des feintes au soccer (l’autre football, celui qui se joue avec un ballon rond, un dossard, et qui n’est pratiqué que dans le reste du monde) ? Mettons tout de suite de côté les Pelé, Ronaldo et Zidane qui prenaient un plaisir sadique à éjecter de leurs souliers à crampons des joueurs adverses pris subitement d’une perte de contrôle de leurs membres. Pensons plutôt à ces performances, dignes d’un Oscar, de joueurs simulant une blessure potentiellement mortelle après avoir été à peine effleurés – et parfois pas du tout – par un opposant, le tout dans l’espoir de soutirer déloyalement à l’arbitre un carton jaune ? C’est à croire qu’un diplôme en théâtre représente un atout pour la sélection nationale de l’équipe de soccer !
Bien sûr, les plus perspicaces de nos lecteurs auront déjà deviné que cette chronique sur les bons et les mauvais usages de la feinte dans le sport n’est en réalité… qu’une feinte, une manière détournée de poser les seules questions qui au fond nous obsèdent tous : les enquêtes policières sont-elles la solution au problème de la corruption dans le monde de la construction ? Une commission d’enquête peut-elle être plus et autre chose qu’une immense « patente à gosse » (Stéphane Bergeron) ? À moins que tout cela ne soit également qu’une feinte, une tasse de café collective qui ne manquera pas de nous laisser un goût amer dans la bouche.