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Le lion et le renard, ou Jean Charest et Jacques Martin sont-ils machiavéliques ?

Par Frédéric Deschenaux le 2011/09
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Le lion et le renard, ou Jean Charest et Jacques Martin sont-ils machiavéliques ?

Par Frédéric Deschenaux le 2011/09

De nombreuses épithètes servent à qualifier le type de gouvernance d’un chef d’État ou d’un dirigeant d’entreprise. En cette époque empreinte de cynisme, il n’est pas rare, par exemple, d’entendre le citoyen pester contre des dirigeants incompétents et machiavéliques. Ce dernier adjectif, rappelons-le, est né en référence au traité de Nicolas Machiavel intitulé Le Prince, publié autour de 1515, dans lequel est révélé l’art d’obtenir, d’exercer et de conserver le pouvoir.

Une fois de plus, nous souhaitons rapprocher sport et politique en nous demandant s’il est possible d’appliquer certains principes tirés du Prince à deux dirigeants bien en vue du Québec : Jean Charest, premier ministre, et Jacques Martin, entraîneur-chef des Canadiens de Montréal. Pour ce faire, nous nous aiderons des « Clefs de l’œuvre », rédigées par Françoise Gomez, qui accompagnent une édition du texte original de Machiavel1. Gomez, quel patronyme prédestiné pour livrer une analyse située au centre de l’échiquier politique !

Selon Machiavel, « le prince “idéal” dont on pourrait brosser le portrait-robot se caractériserait par sa virtù, c’est-à-dire, dans le sens latin, non seulement par son courage […], mais aussi par une capacité à s’adapter aux coups de la fortune ».

Suivant cette définition, Jean Charest et Jacques Martin possèdent-ils quelques traits du prince idéal ? Sur le courage du premier ministre, les avis divergeront. D’aucuns diront que ça prend son lot de courage pour survivre à un taux d’insatisfaction record et que, en fin stratège qu’il est, il sait tourner les situations les plus délicates à son avantage. Il faut le voir pavoiser devant le spectacle – pathétique, il faut le dire – de ses adversaires se décomposant et s’autodétruisant. Parlant de destruction, quelle « fortune » que l’effondrement du tunnel Ville-Marie n’ait fait aucune victime. Dans ce dossier, il s’en trouvera pour prétendre que le premier ministre n’a pas démontré une grande force de caractère en se réfugiant derrière l’éloquence de son ministre des Transports. Reprenant les mots d’Yvon Pedneault, analyste sportif réputé2, on dira qu’à défaut d’avoir bien géré la crise, le responsable de notre mal des transports collectifs a su parfaitement la « gestionner » !

Jacques Martin, de son côté, fait indéniablement preuve de courage lorsqu’il affronte quotidiennement la meute journalistique couvrant les activités du Tricolore. Et que dire de sa détermination. En langage sportif, « s’adapter aux coups de la fortune » se traduit par « faire face à l’adversité ». Or, Martin n’a-t-il pas su passer à la trappe presque tous ses adversaires durant la dernière saison, et cela, malgré l’achalandage à l’infirmerie ? Ne faut-il pas saluer sa clairvoyance lorsqu’en début de calendrier, il a accordé sa confiance à Carey Price ? Celui-ci a finalement ressuscité d’entre les morts après être tombé en disgrâce dans le cœur tatoué des partisans. Commentant les performances de son jeune cerbère, le pilote des Glorieux a d’ailleurs eu ces propos d’une stupéfiante lucidité : « Je pense que Carey, on voit qu’il performe très bien, je pense qu’il est en plein moyen de ses habiletés, euh… »

Concernant les relations entre la population et ses dirigeants, Machiavel considérait qu’« [e]ntre le prince et le peuple, l’entente passe d’abord par une clarté suffisante de langage, qu’il soit langage d’oppression ou de gratification. Le signifiant politique, quel qu’il soit, ne doit pas être ambigu ou contradictoire ».

À cet égard, disons que le premier ministre s’en tire bien. Une de ses principales qualités est de savoir s’adapter à son auditoire, qu’il se trouve devant un parterre de dignitaires ou encore sur le plateau de Tout le monde en parle. Une aisance qui n’est malheureusement pas donnée à tous ses ministres. Prenons ce message (cité textuellement) de Sam Hamad publié sur Facebook au lendemain de l’effondrement, en février dernier, d’un bloc de béton de la structure du pont Champlain sur le pare-brise d’une automobile : « On est chanceux dans notre malchance […] que le citoyen il n’ait pas été blessé malgré que le choc qu’il a obtenu. J’ai essayé de le rejoindre ce matin pour apporter les excuses du gouvernement pour l’accident… évidemment, c’est pas volontaire de notre part3. » Dans Le Prince, le secrétaire de la République de Florence écrivait que les ministres sont bons ou mauvais en fonction de la sagesse du prince, que l’intelligence de ce dernier se mesure justement à sa capacité de juger son entourage. Que nous révèle de l’intelligence politique de Jean Charest le choix de Sam Hamad ?

Même s’il sait peut-être mieux s’entourer, on ne peut pas dire que la clarté est la qualité première de Jacques Martin. Il nous en fait la pénible démonstration à chacune de ses apparitions publiques. D’un imposant florilège, retenons une réflexion à saveur philosophique : « On a beaucoup plus de concentration, beaucoup plus de focus sur le processus au lieu des résultats… si tu prends soin du processus, les résultats vont prendre soin d’eux autres même. » Prendre soin des processus plutôt que des résultats, s’en remettre à l’autorégulation du système : n’est-ce pas là des règles d’or de la gouvernance de nos États en ce moment ?

Au final, Jean Charest et Jacques Martin sont-ils machiavéliques ? D’évidence, le manteau ne s’ajuste parfaitement à aucun de nos protagonistes. Brossant le portrait du dirigeant idéal selon Machiavel, Gomez souligne que « le prince doit savoir se faire tout à la fois lion et renard, manier avec une aisance égale la force et la ruse ». Contentons-nous de dire que le premier ministre est rusé comme un renard et d’espérer que l’entraîneur des Canadiens a bouffé du lion dans la perspective d’un retour en force de l’équipe en 2011-2012.

Le mot de la fin appartient d’ailleurs à Martin : « [Ç]a semble porter fruit sur le point que ça semble ressortir le mieux des deux. » Nous ne saurions mieux dire…

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Notes :

1.     On peut trouver cette analyse dans Nicolas Machiavel, Le Prince, Pocket, Paris, 1998.

2.    Les citations sportives employées dans le texte sont tirées du site du Sportnographe, mine d’or en la matière : sportnographe.radio-canada.ca/category/citations. Notons qu’elles sont rapportées sans modification.

3.    Tiré du blogue d’Antoine Robitaille Des mots et des maux sur www.ledevoir.com.

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