La science a toujours fasciné l’être humain. Depuis Aristote et même avant, l’Homme se questionne sur son environnement et sa propre nature. Mais qu’est-il advenu de cette science, aujourd’hui réservée à un groupe d’élites qui laisse le citoyen à l’écart de ses découvertes ? Comment le citoyen peut-il faire la part des choses entre le vrai et le faux, bousculé par la mascarade médiatique qui manipule l’information au profit du spectacle ? Pouvons-nous assurer un juste transfert des connaissances, du scientifique au citoyen, à travers les murs institutionnels ? La vulgarisation scientifique est-elle suffisante pour informer et éduquer, ou d’autres options seraient plus efficientes ?
Au Québec, comme dans le monde, la vulgarisation est très en vogue. Des tirages colorés de la presse magazine, par exemple Québec-science, aux concours de vulgarisation organisés par l’Association francophone du savoir (ACFAS), en passant par les nombreux ateliers récréo-éducatifs offerts par des initiatives locales ou nationales (SÉPAQ, Parc Canada), le citoyen a l’embarras du choix pour aiguiser ses connaissances. Plus près de chez nous, au Bas-Saint-Laurent, de nombreux organismes, porte-parole et événements veillent aujourd’hui à assurer cet indispensable transfert des connaissances. Nous pouvons entre autres penser aux interventions télévisées d’Émilien Pelletier, chercheur à l’Institut des sciences de la mer de Rimouski (ISMER), qui nous expliquait les répercussions environnementales de la catastrophe pétrolière dans le golfe du Mexique, ou encore à la participation à l’émission Découverte de Joël Bêty, chercheur à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), qui nous expliquait les mystères de la migration des oiseaux dans l’Arctique. À cela s’ajoutent des événements annuels tels que le 24 heures de science, le colloque universitaire de vulgarisation « La nature dans tous ses états » et l’Échofête de Trois-Pistoles. Tous ces ateliers de vulgarisation se sont véritablement insérés dans notre paysage bas-laurentien au fil du temps ! En dépit de cette brillante liste d’exemples, l’omniprésence de la vulgarisation scientifique dans notre milieu est-elle garante du transfert efficace des connaissances vers le grand public ou est-il possible d’aller plus loin ?
Depuis maintenant quelques années, une autre option se dessine au sein même des projets de recherche, la participation citoyenne. Mais que signifie le terme « participation citoyenne » ? De manière simplifiée, c’est l’implication d’un citoyen qui partage son expertise acquise de manière personnelle au sein d’un projet de recherche. C’est le cas notamment du Réseau québécois d’urgence pour les mammifères marins (RQUMM) qui recueille annuellement une charge importante d’appels citoyens concernant des mammifères marins menacés ou échoués, ainsi que de l’Atlas des oiseaux nicheurs du Québec qui enregistre une grande quantité de données sur la faune aviaire. Et un dernier né en 2007, le projet CC-Bio vise à mesurer l’effet des changements climatiques sur la biodiversité du Québec et exploite des données d’observateurs amateurs sur plusieurs espèces fauniques et florales à l’échelle de l’Amérique du Nord et du Québec. Un autre exemple important concerne les divers travaux de recherche dans l’Arctique canadien impliquant les peuples autochtones (Innus et Inuits). Tous ces modèles préconisent sensiblement la même méthode : recueillir des observations écologiques à l’aide de l’expertise locale.
Cette participation citoyenne est-elle devenue une nouvelle forme de science ? Certains diront que oui alors que d’autres renonceront aux multiples biais de cet additif social dans leur recherche. Comme le mentionne Dominique Berteaux, chercheur à l’UQAR, responsable du projet CC-Bio et porte-parole du 24 heures de science du Bas-Saint-Laurent, la participation citoyenne implique « qu’on contrôle moins bien la façon dont les observations sont faites et donc il faut être plus prudent dans nos analyses ». Néanmoins, cette forme émergente de « science » promet ses avantages qui ne sont pas à laisser au placard. Tout d’abord, elle permet d’acquérir une importante quantité de données à grande échelle qui n’auraient pu être recueillies par les groupes de recherche seuls ou auraient nécessité énormément d’argent. Elle souscrit également l’implication des communautés locales dans le monde de la science. Cette implication va bien au-delà du bénéfice unilatéral couramment illustré pour le scientifique. Elle apporte aussi au citoyen un véritable apprentissage en développant notamment son esprit critique et son indépendance, son habileté à interpréter des observations et sa compréhension du rôle essentiel de l’incertitude et de sa place en science. C’est un partage entre le scientifique et le citoyen sur leurs connaissances respectives non pas différentes mais complémentaires. En concédant au citoyen l’accès à un projet de recherche, le scientifique lui permet d’aiguiser son autonomie intellectuelle, de se questionner et de gagner une ouverture décisionnelle sur divers enjeux sociétaires, bien au-delà du volet environnemental. En contrepartie, la personne locale apporte au scientifique le contexte social du site d’étude et sa propre vision de son environnement qui sont essentiels à la compréhension des mécanismes biologiques et de l’écosystème étudié.
Nous sous-estimons peut-être le poids de ce partage entre le scientifique et le citoyen. Et conséquemment, nous devrions peut-être revoir la place de cette nouvelle forme de communication. Comme le mentionne Dominique Berteaux, cette question est complexe et rencontre plusieurs obstacles. Outre les obstacles de communication, d’intérêt, de culture et de façon de penser et d’interpréter, le principal enjeu pour les scientifiques vient du manque de reconnaissance lié à ce type d’activité : « Dans notre CV ça ne compte pas ! Ce qui compte, ce sont les publications scientifiques [et] c’est très difficile d’y échapper. » À l’heure actuelle, il est difficile de se prononcer sur la direction réelle qu’emprunteront la vulgarisation scientifique et la participation citoyenne, encore émergentes. De même, le vent des environnementalistes engagés s’évanouira peut-être, essoufflé telle une mode éphémère, ou se transformera en une véritable collaboration collective. Plusieurs outils de communication existent depuis longtemps et sont largement utilisés par les médias, mais aussi de plus en plus par les scientifiques comme outils didactiques. Par exemple, le Conseil des recherches en sciences naturelles et génie du Canada (CRSNG) offre en ligne un guide sur la vulgarisation scientifique à l’intention des chercheurs. Néanmoins, l’enjeu majeur d’une bonne communication demeure, avant tout, de respecter la liberté d’expression entre les deux interlocuteurs qui discutent et surtout qui partagent un intérêt, une passion commune.
L’auteure détient une maîtrise en océanographie et est professionnelle de recherche à la Chaire de recherche du Canada en conservation des écosystèmes nordiques de l’UQAR.