Il est de bon ton de nos jours d’accoler le mot « corporatiste » à toutes les luttes. Ceux et celles qui se battent pour quelque cause le feraient en fait pour eux-mêmes et non pour les idéaux qu’ils mettent de l’avant. Derrière leur discours se cacherait une seule chose, leur intérêt individuel bien calculé. On l’entend sans cesse pour les syndicats, les luttes environnementales sont considérées comme du « pas-dans-ma-cour » et la défense des services publics est menée par des privilégiés qui ne veulent pas travailler.
Les étudiants et étudiantes qui s’opposent à la hausse des frais de scolarité annoncée dans le dernier budget seront rapidement mis dans ce sac. Le ministre des Finances, Raymond Bachand, ne leur fait pourtant pas la vie facile. Les frais de scolarité augmenteront au total de 1625 $ et approcheront, à terme, le 4000 $ par année. Avec près de 15 000 $ d’endettement en moyenne à la sortie des études, on voit qu’il s’agit d’un enjeu important. Pas seulement pour eux d’ailleurs, mais aussi pour nombre de leurs parents qui sont pris à la gorge dans les dettes. N’oublions pas que le Canada est en ce moment à un niveau record d’endettement des ménages. Pour chaque dollar de revenu, les Canadiens ont 1,50 $ de dette.
Pourtant, on présentera inévitablement ces jeunes comme provenant de familles aisées, ayant tous les moyens de payer mais voulant plutôt profiter des bas frais de scolarité pour se la couler douce. Cette journaliste soulignera que les hausses correspondent à tant de bières de moins par année. Cet homme politique relèvera que se priver d’un voyage au Mexique leur permettrait d’étudier sans problèmes financiers, même après l’établissement des nouveaux frais. Au final, les étudiants seraient des gens comme tout le monde, tentant de protéger leur petit intérêt particulier.
Est-il possible que les étudiants et les étudiantes qui s’organisent pour lutter contre la hausse des frais de scolarité à venir aient, au fond, une vision plus juste de l’état de notre société que ceux qui prétendent voir clair dans leur jeu corporatiste ?
Certains vous tiendront le discours suivant : « Nous ne sommes pas corporatistes, nous voulons que le Québec puisse entrer de plain-pied dans l’économie du savoir grâce à une meilleure accessibilité à l’université. » Formons plus d’universitaires pour que le Québec puisse jouer un rôle de premier plan dans la nouvelle économie mondiale, voilà leur projet. Ne nous concentrons pas sur ces affirmations qui s’apparentent au discours économique dominant.
Entendons plutôt l’autre discours, celui des étudiants les plus actifs et les plus mobilisés. Ceux qui nous disent que l’éducation n’est pas affaire de gros ni de petits sous, ni affaire de mobilité sociale ou d’amélioration de la qualité de vie. En fait, elle peut bien être tout cela, mais au fond, ces choses sont secondaires pour l’éducation.
Ces étudiants ont les yeux bien ouverts sur le monde et le voient évoluer vers une période trouble. Les crises économiques se succèdent. La crise écologique montre régulièrement une de ses nouvelles facettes. Les guerres et les tensions politiques promettent de se multiplier, surtout du côté de l’accès aux ressources.
Et c’est à ce moment, au Québec, que nous choisirions de réduire l’accès à l’université ? Au moment où nous avons besoin de penser le monde, de trouver d’importantes solutions aux problèmes essentiels qui nous préoccupent. Alors que nous avons besoin de biologistes et de chimistes pour trouver des solutions à ce qui se passe en environnement, d’ingénieurs pour repenser notre façon de nous déplacer, d’urbanistes pour voir comment sortir de l’étalement urbain mortifère, nous leur dirions : seuls les portemonnaies garnis entrent en ces lieux de haut savoir.
Si nous rejoignions la fameuse moyenne canadienne de fréquentation universitaire – ce qui se fera logiquement si nous les rattrapons sur le plan des frais de scolarité –, ce serait 30 000 universitaires de moins au Québec par an. Voilà 30 000 personnes qui souhaitent apprendre une discipline, une façon de voir le monde et se rendre utiles à la société, et qui en seront privées. Car si l’université compte pour quelque chose, c’est comme lieu où nous pouvons nous penser comme société.
Bien sûr, ce besoin urgent de savoir où nous allons pose la question de ce que nous sommes en train de faire de nos universités. À bien y regarder, on a plutôt l’impression qu’elles participent activement au système ambiant en vendant leur recherche à des entreprises pour combler leurs seuls intérêts à court terme. Eh bien, là encore, les étudiants et les étudiantes qui envahiront les rues dans les mois à venir se positionnent très clairement en affirmant qu’il faut revoir la mission de nos universités et les sortir de la marchandisation du savoir où elles s’enferment.
Corporatistes les étudiants ? Pas autant que ceux qui se refuseront à les écouter pour faire perdurer leur confort individuel au prix de notre dépérissement collectif.
L’auteur est chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) : www.iris-recherche.qc.ca.