Au lendemain des résultats électoraux, j’entendais Pauline Marois répondre aux journalistes qui lui demandaient de commenter la défaite du Bloc : « Laissons retomber la poussière. »
La question à se poser à notre humble avis est : « D’où nous vient cette poussière ? »
Lors de la première campagne électorale menée par Stephen Harper, nous écoutions le débat des chefs, ma fille qui abordait la vingtaine et moi. Nous nagions en plein scandale des commandites. Ma fille me dit candidement pendant le débat : « Pourquoi ils passent leur temps à se “bitcher”, pourquoi ne nous disent-ils pas ce qu’ils veulent nous proposer ? » Sans hésitation, je lui répondis qu’ils n’avaient rien à proposer et que leur stratégie de campagne était de jeter le discrédit sur les autres candidats espérant semer le doute chez la population et ainsi appeler un vote contre. Je lui prédis, à ce moment, que les gens voteraient Harper non pas pour ses idées, parce qu’il n’en avait pas et n’en a toujours pas, mais contre Paul Martin qui héritait du discrédit semé par Jean Chrétien.
Est-ce que la stratégie électorale a changé ? Malheureusement pas. Le débat des chefs fut encore un combat de coqs où celui qui réussissait à jeter le discrédit pouvait éventuellement marquer des points et nous dirions que Gilles Duceppe était passé maître dans l’art, mais cette fois-ci cela a joué contre lui. Souvenons-nous, aussi, de l’intervention répétée de Jack Layton qui assassine Mickael Ignatieff en lui disant qu’il avait eu plusieurs absences en chambre. Comme il n’y a pas d’idées, il faut faire comme si… Nous nous limiterons à ces exemples pour montrer que les gains du NPD ne sont pas dus à une attitude très différente bien que nous reconnaissions que c’est le candidat qui a fait la campagne la plus positive. Et on se demande d’où vient la poussière…
La poussière nous vient du vide de projets porteurs. Qui dans cette campagne avait un projet de société porteur ? Selon nous, personne. Le grand gagnant, Stephen Harper, avait comme marotte : l’économie, l’économie, l’économie. Son économisme nous rend malades, nous qui sommes économistes. Si la croissance économique avait permis à nos sociétés d’améliorer la condition humaine, la classe moyenne n’aurait pas été en perte de pouvoir d’achat depuis le début des années 80 et les pétrolières n’auraient pas déclaré les bénéfices honteux qu’elles viennent de rendre publics. Même le président Obama s’est dit outré… Nous ne ferons pas ici la démonstration d’une redistribution de plus en plus inéquitable des résultats de la croissance, nous l’avons suffisamment étoffé par le passé (voir Le mythe de la régulation par le marché1).
La poussière nous vient aussi de ce que Hervé Kempf appelle l’oligarchie. Il serait heureux de voir que sa thèse se vérifie bien au Québec avec tous ces maires mafieux qui sont poursuivis pour détournement de fonds, copinage avec des entrepreneurs véreux, enveloppes brunes et passons. Nous n’avons que la pointe de l’iceberg, imaginons ceux et celles que l’escouade Marteau n’a pas encore frappés. Et lorsque le fisc dévoile de ces entrepreneurs qui sont condamnés à verser quatre millions d’amendes pour fraude fiscale, je les imagine trinquer avec leurs avocats et se dire : « Si vous saviez ce qui est passé par la porte de derrière et que vous n’avez pas vu… »
Alors voilà que Bernard Landry remet de la poussière. Il nous dit, à peu de chose près, que l’élection du NPD permettra de réunir les conditions gagnantes pour un prochain référendum. Comme si les conditions gagnantes tombaient du ciel par magie. Nous sommes les principaux responsables des conditions gagnantes, elles ne nous viendront pas d’un deus ex machina. Et on se demande d’où nous vient la poussière.
Il faudrait que les gens du PQ comprennent que la souveraineté est un moyen pour arriver à une fin. Mais quelle est cette fin ? Être maître chez nous comme disait Lesage ? Cela ne nous apparaît plus suffisant comme projet. Il nous faut un projet de société porteur qui permettra à la très grande majorité des gens habitant le territoire du Québec de s’y reconnaître, peu importe leurs conditions sociales, ethniques et linguistiques. Et si le reste du Canada ne nous permet pas d’y accéder et bien, par la souveraineté qui est un moyen, nous nous réapproprierons ce que l’esprit de cette Confédération, qui est maintenant plus une Fédération, contenait : l’autonomie des provinces.
Quel pourrait être ce projet ? Nous n’avons pas la prétention de le définir à nous seuls. Mais il nous paraît impératif qu’il soit à la hauteur des préoccupations du XXIe siècle. Comme le mentionne si bien Josée Boileau dans son article paru dans Le Devoir du 29 avril. Bref, il nous faut civiliser l’économie, soit passer d’une économie de marché à une économie sociale de marché ; il nous faut démocratiser la démocratie, soit passer d’une démocratie de délégation à une de participation ; il faut que le développement durable et l’environnement soient les prémices de tout développement économique ; il nous faut une plus grande justice redistributive ; il nous faut passer d’une dynamique de compétition entre nations à une d’entraide et de coopération, bref, il faut que l’être prime sur l’avoir…
Comme le disait si bien Guy Chevrette dans une entrevue avec Christiane Charrette ce 3 mai : « Il nous faut un projet porteur comme nous en avions un avec René Lévesque. »
Alors Madame Marois, il vous faut enlever la poussière et non la laisser retomber. Permettez-vous des visionnaires, des rêveurs, des gens de culture pour vous conseiller. Et gardez vos technologues de la stratégie terrain, de la dénonciation et du grenouillage politique pour les journalistes qui font très bien leur travail.
Bon été !
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Note :
1. Du même auteur, Le mythe de la régulation par le marché, thèse de doctorat, Montréal, Université du Québec à Montréal, 1996.