Le livre vert devait couronner la longue démarche de consultation initiée en novembre 2006 par la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois (15 régions consultées, 720 mémoires reçus). Le rapport Pronovost, déposé en 2008 un an à peine après le début des travaux, fut salué par la plupart des acteurs pour la perspicacité de ses constats et l’équilibre de ses recommandations.
Le livre vert, dont la publication a été retardée de deux ans en raison de la succession de titulaires du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ), devait, dans l’optique annoncée par Claude Béchard, fournir un énoncé de politique agricole englobant les réformes structurelles et les modifications législatives retenues par le gouvernement suite au rapport Pronovost et aux consultations qui l’ont suivi.
Un livre vert qui ne propose rien
Malheureusement, le livre vert rendu public le 7 juin dernier par le ministre Pierre Corbeil est plutôt un livre blanc, car il ne contient rien qui mérite d’être considéré comme un énoncé de politique. Il s’en tient à une énumération d’objectifs généraux visant à favoriser une offre accrue d’aliments du Québec diversifiés et différenciés, mais ne contient aucun énoncé nouveau sur les moyens à mettre en œuvre pour concrétiser ces objectifs. Ces moyens, énumérés sans détails, sont pour la plupart communs et déjà en place : des entreprises rentables, l’étiquetage, la traçabilité, l’appellation d’origine, les circuits courts, les filières sectorielles, l’accès aux produits locaux et régionaux, l’écoconditionnalité, la réduction de l’usage de l’eau, des pesticides et des gaz à effet de serre, l’adaptation du zonage agricole, le soutien à la relève et à la multifonctionnalité. Plusieurs de ces mesures ont déjà fait l’objet de programmes spéciaux si limités dans leurs objectifs et leur budget qu’ils n’auront pas d’impact significatif sur le modèle agricole actuel qu’on prétend réorienter.
De fait, le livre vert, sur les vrais enjeux qui font l’objet des débats depuis cinq ans, comme la souveraineté et l’autosuffisance alimentaire, la répartition de l’aide financière aux différents types de fermes, le contrôle de la mise en marché par les chaînes alimentaires et les grandes fédérations de l’UPA, la reconversion des productions en crise, la production et la mise en marché de proximité, l’agriculture biologique comme rempart contre les pesticides et les OGM, la gestion du zonage agricole, le monopole syndical, ou bien reste silencieux, ou bien en fait l’objet de questions, en annexe, destinées à guider une nouvelle consultation qui se tiendra en commission parlementaire en septembre prochain.
Le gouvernement se défile
L’annonce de cette nouvelle consultation, pour répondre à des questions auxquelles le gouvernement a déjà toutes les réponses, a laissé tout le monde, y compris les dirigeants de l’UPA, dans un état de stupéfaction, pour ne pas dire de révolte : comment le gouvernement peut-il se défiler à ce point et comment demander aux citoyens de se prêter à une consultation supplémentaire sur un document dans lequel il refuse, lui-même, de prendre position.
La conclusion s’impose : le gouvernement ne cherche qu’à gagner du temps et ne veut plus procéder aux réformes structurelles recommandées, parce qu’il a peur d’affronter le mécontentement de ceux qui contrôlent le secteur, c’est-à-dire les grandes chaînes agroalimentaires qui contrôlent les marchés, les grands intégrateurs-producteurs qui empochent 90 % de l’aide financière et l’UPA qui, grâce au monopole d’accréditation qu’elle détient, contrôle la mise en marché de cinq milliards de produits agricoles. Autant dire que le gouvernement abandonne les agriculteurs aux grands intégrateurs et n’a rien à leur offrir.
Petite histoire d’une trahison
Quand, en novembre 2006, le ministre de l’Agriculture Yvon Vallières, à l’instigation semble-t-il de Michel Saint-Pierre, a créé la Commission Pronovost, notre agriculture était déjà dans une impasse. La politique de conquête des marchés mondiaux, initiée au début des années 90 et concrétisée par le développement intensif de l’industrie porcine, avait déjà du plomb dans l’aile, malgré tous les outils mis en place pour en favoriser l’expansion, comme le droit de produire et la concentration des entreprises. La création de l’Union paysanne et le moratoire sur l’industrie porcine avaient déjà sonné l’alarme quant aux impacts d’un tel modèle sur l’environnement, la qualité des aliments, la santé publique, l’occupation du territoire et les campagnes en général. L’arrivée massive sur le marché des pays émergents, ou à climat plus doux que le nôtre, créait une concurrence que nos producteurs non protégés par la gestion de l’offre (marché fermé) n’étaient plus en mesure d’affronter, surtout avec des produits génériques comme les leurs.
L’assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA), conçue sur mesure pour les grandes productions, deviendra vite la principale source de revenus pour la plupart des producteurs et, de ce fait, un véritable gouffre financier pour l’État. Le déficit accumulé atteindra 1,7 milliard quand le ministre Béchard, en s’appuyant sur les recommandations de Pronovost et Saint-Pierre, sonnera la fin de la récréation en novembre 2009.
Pour relancer notre agriculture, le rapport Pronovost proposait de la diversifier et de privilégier des productions personnalisées et territoriales, plus susceptibles de rejoindre les nouveaux marchés qui s’ouvrent, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Pour y parvenir, il indiquait clairement les ajustements qu’il fallait faire au niveau du financement, de la mise en marché, du zonage agricole, de la représentation syndicale et du leadership du gouvernement : sortir notre agriculture du carcan où l’a enfermée le modèle unique préconisé, lequel a fini par jouer outrageusement en faveur des gros et des intégrateurs contre les petits et contre les communautés régionales.
L’accueil du gouvernement au rapport Pronovost fut d’abord positif, sauf sur la question du monopole syndical. Le ministre Laurent Lessard demanda rapidement à deux spécialistes de vérifier la faisabilité des recommandations concernant le financement (Michel Saint-Pierre) et le zonage agricole (Bernard Ouimet), et à un comité multipartite de vérifier la flexibilité des plans conjoints à l’égard des circuits courts. Le nombre de représentants de l’UPA au conseil d’administration de la Financière agricole passa de 5 sur 11 (incluant la présidence) à 5 sur 15 (sans présidence).
En novembre 2009, sous les pressions de la ministre du trésor Monique-Jérôme Forget, le ministre Claude Béchard décida de mettre de l’ordre à la Financière agricole, plus particulièrement à l’ASRA, première responsable de l’hémorragie. Le budget annuel de la Financière fut gonflé et bloqué à 630 millions pour cinq ans, et les normes de compensation de l’ASRA furent resserrées sur plusieurs points. Mais contrairement aux recommandations de Pronovost et Saint-Pierre, on n’annonça pas son remplacement par un régime plus efficace et équitable de protection des risques et de soutien de base à tous les agriculteurs, modulé sur les revenus de la ferme et non sur les volumes et coûts de production.
Depuis, une marge de 20 millions par année, gérés directement par le MAPAQ, a été affectée à divers programmes de soutien aux agriculteurs touchés par les coupures de l’ASRA et à des programmes spéciaux et limités pour aider la relève, les circuits courts, la conversion biologique et le soutien à la multifonctionnalité. Ce soutien à la multifonctionnalité, qui devait être une pièce majeure du soutien à l’agriculture territoriale et biologique, se limite toutefois à rétribuer la contribution des agriculteurs à certains projets touristiques, patrimoniaux ou environnementaux plutôt qu’aux pratiques agricoles elles-mêmes, ce qui en restreint considérablement la portée.
Retour à la case zéro
Ce livre vert qui n’en est pas un vient donc confirmer que, maintenant qu’il a colmaté l’hémorragie financière de l’ASRA, le gouvernement ne semble plus intéressé à mettre en place les réformes structurelles recommandées au chapitre du financement, de la mise en marché et du monopole de l’UPA. Dans ses propos en conférence de presse, le ministre Corbeil n’a fait aucune ouverture, tout juste d’éventuels ajustements à la gestion du zonage agricole ; par contre, il a pratiquement fermé la porte à une remise en question du monopole syndical, soulignant qu’il appartient aux producteurs agricoles de se prononcer sur le maintien d’une accréditation syndicale unique, ignorant ainsi qu’il s’agit du droit fondamental de choisir son association représentative et d’une condition essentielle à la diversification de notre agriculture.
Le signal est clair : s’il n’en tient qu’au gouvernement actuel, c’est la fin du rapport Pronovost. Pendant qu’il tergiverse, la situation des agriculteurs indépendants ne cesse de se détériorer. Les petits producteurs, déjà en difficulté, ont souffert des récentes coupures de l’ASRA : ils seront de plus en plus nombreux à se faire avaler par les grands intégrateurs, en région éloignée surtout. Quant aux fermiers biologiques et de proximité, sans soutien équitable, ils resteront pour la plupart confinés dans des productions et des marchés marginaux. De sorte qu’il sera bientôt trop tard pour tenter de reprendre le contrôle de notre agriculture et de notre alimentation.
La Coalition SOS-Pronovost, formée d’un large éventail de groupes d’agriculteurs et de citoyens qui revendiquent l’application intégrale des recommandations du rapport, refuse de cautionner cette consultation express sur un document incomplet. Mais pour éviter la chaise vide et faire la démonstration de la mauvaise foi du gouvernement, elle recommande à tous les intervenants concernés de soumettre de nouveau à la commission parlementaire les mémoires soumis à la commission Pronovost. Tant que ce n’est pas fini, ce n’est pas fini !