Culture

La résistance zapatiste, 
une étincelle altermondialiste

Par Véronique O'Leary le 2011/05
Culture

La résistance zapatiste, 
une étincelle altermondialiste

Par Véronique O'Leary le 2011/05

Qui sont-ils, qui sont-elles, ces hommes et ces femmes indigènes zapatistes du Chiapas? Où en est leur lutte aujourd’hui, plus de 15 ans après leur soulèvement? Pourquoi résistent-ils encore et pourquoi représentent-ils une référence incontournable, un exemple si inspirant à travers les continents pour les luttes altermondialistes?

Les « mauvais gouvernements » du Mexique

Le mouvement rebelle néo-zapatiste, l’EZLN, Armée zapatiste de libération nationale, naît en 1983 de la rencontre d’organisations des peuples indigènes mayas (dont plusieurs étaient inscrites dans une démarche chrétienne de « théologie de la libération » avec l’évêque de San Cristobal, Samuel Ruiz) avec des militants d’extrême-gauche, pour la plupart universitaires et non autochtones, arrivés dans les forêts du Chiapas.

Le néolibéralisme commence à faire au Mexique des ravages : désengagement de l’État, privatisation des services publics et aussi de terres et de ressources naturelles dont les communautés autochtones auraient dû avoir la propriété collective depuis la Réforme agraire de 1917. Cette réforme était le principal objectif du leader de la révolution mexicaine Emiliano Zapata, mais elle ne se rendit jamais jusqu’au Chiapas. Dans les années 1980, des compagnies minières canadiennes, et bien d’autres, dictent plus que jamais leurs nouvelles lois au gouvernement corrompu.

En 1994, le soulèvement armé des indigènes mayas de l’EZLN éveille la population mexicaine à la réalité des peuples autochtones et un important mouvement appuyant leurs revendications oblige le gouvernement mexicain à déclarer un cessez-le-feu et à ouvrir des négociations. Elles aboutissent en 1996 à la signature des accords de San Andrès entre le gouvernement et l’EZLN, devant reconnaître le droit à l’autonomie et l’autodétermination des peuples autochtones.

Mais simultanément, le gouvernement mexicain initie une guerre dite « de basse intensité » pour détruire le tissu social des communautés indigènes. Sa véritable intention est « d’en finir avec la rébellion des communautés indigènes (zapatistes et non-zapatistes) qui résistent à ses plans de prendre le contrôle, sans témoins dérangeants, de l’une des régions les plus riches de la planète en ressources naturelles ». (Peace Watch, 2007)

Le portrait de cette guerre, toujours en cours : militarisation à outrance du Chiapas, création et soutien de groupes paramilitaires, assassinats, enlèvements, viols, destruction des champs et des villages, manipulation de divisions au sein des communautés autochtones, arrestations arbitraires systématiques.

En 2001, le Parlement mexicain refuse les accords signés et adopte un texte de loi allant dans le sens inverse des intérêts des indigènes, geste politique considéré comme une véritable trahison.

L’autonomie zapatiste et le « bon gouvernement »

Les zapatistes décident alors de ne plus rien attendre du pouvoir étatique, le « mauvais gouvernement », comme ils l’appellent, et de mettre en pratique les accords de San Andrès de façon unilatérale.

L’autonomie1, déjà pratiquée depuis 1994 dans plus de 30 communes autonomes rebelles, est renforcée en 2003 par la création de cinq juntas de buen gobierno, (conseils de bon gouvernement). Chaque conseil siège dans un caracol2 coordonnant l’action des communes autonomes de leur région.

Chaque commune, en grande assemblée de toutes et tous, élit ses représentants pour un mandat de deux ou trois ans. Ils sont révocables en tout temps et occupent une « charge », un service rendu sans rémunération ni avantages matériels. Ils envoient des délégués au Conseil de bon gouvernement avec une rotation très fréquente, ce qui entraîne une lenteur – assumée – pour résoudre les questions qui se présentent : ce rythme permet de consulter leur communauté respective, de débattre sur les choix et d’essayer d’avoir, si possible, l’adhésion de tous.

Il y a là aussi un refus de la spécialisation de l’activité politique. Il s’agit de s’éduquer à la prise de pouvoir sur sa vie et sur celle de sa communauté : cela prend du temps, la lenteur de l’escargot-caracol en est d’ailleurs un symbole pour eux. On essaie de comprendre ensemble ce qui est le mieux pour tous. « Nous sommes capables de nous gouverner nous-mêmes », c’est là que femmes et hommes acquièrent leur dignité.

« L’occupation des bonnes terres cultivables et leur récupération, après des centaines d’années de spoliation, a été la base économique sur laquelle s’est construite l’autonomie zapatiste. » (Sous-commandant Marcos, Saisons de la digne rage)

Cette autonomie s’illustre concrètement dans leurs projets de développement collectif. Comme les zapatistes refusent toute aide de l’État, qui n’est jamais désintéressée, ils construisent au quotidien des organisations qui leur permettent de s’épanouir comme individus et comme communauté. Ils y appliquent leurs valeurs traditionnelles collectivistes, adaptées à la lutte au néolibéralisme du XXIe siècle.

Tout en continuant à s’occuper de leur parcelle de champ familial et des terres communautaires, les ejidos, et tout en ayant à maintenir une résistance quotidienne aux attaques de la guerre de basse intensité, ils ont créé avec peu de moyens un système de santé autonome (cliniques, agents communautaires de santé, sages-femmes et soignants traditionnels de la médecine maya), un système d’éducation (des écoles primaires et secondaires) dont le programme « s’enracine dans l’expérience concrète des communautés », des coopératives artisanales de femmes pour la dignité, ainsi que des coopératives de café et de communications.

Une autre conception de l’agir politique

Le zapatisme a rompu avec une approche d’extrême-gauche élitiste où une avant-garde, prétendant détenir la vérité, dicte aux acteurs de la transformation sociale l’idéologie et les actions à entreprendre.

« Permettez-moi de vous dire que l’EZLN a eu la tentation que le zapatisme soit l’unique vérité. […] Cette vision fut défaite à l’heure de nous confronter aux communautés […] Nous ne pouvions enseigner à personne comment résister. Nous devenions les élèves de cette école de résistance, de ceux qui résistaient depuis 500 ans. Ceux qui venaient sauver les communautés indigènes furent sauvés par elles. » (Sous-commandant Marcos, La Jornada, novembre 2008)

Dans leur recherche où tout est à construire, les zapatistes revendiquent le droit à l’erreur et celui « d’avancer en posant des questions ». Et comme tout le monde, ils ont fait et feront des erreurs, ce qui est le propre d’un chemin vivant et exigeant.

Résister, le seul chemin possible

« Les peuples indigènes résistent parce qu’ils savent que le triomphe des plans de l’État mexicain signifie leur mort, peut-être pas individuellement, mais collectivement oui, comme peuple et comme culture. Voilà le conflit, et c’est une des raisons essentielles pour laquelle l’État mexicain a refusé de façon répétée de reconnaître les droits des peuples indigènes à l’autonomie. Le droit à la terre et celui de décider et de jouir de l’usage des richesses naturelles sur leur territoire heurtent de plein fouet les intérêts privés qui ont dans leur point de mire l’immense richesse naturelle du Chiapas. » (Peace Watch Switzerland, Reader Training 2007, México y Guatemala)

Le combat des zapatistes est un phare pour les luttes altermondialistes de partout. Ils entretiennent des liens concrets avec les mouvements de solidarité internationaux qui les soutiennent et ils se définissent comme « une poche de résistance au milieu de la domination généralisée du capitalisme néolibéral ». (Jérôme Baschet, La rébellion zapatiste)

Ce qui se vit là-bas est unique et participe grandement à nourrir la flamme de tous les humains pour un autre monde qui est déjà en train de se faire. Les zapatistes nous rappellent que résister à la déshumanisation des valeurs néo-libérales, pour eux comme pour nous, est bien le seul chemin possible : c’est choisir de vivre, debout, à cœur ouvert.

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Notes :

1.    Pour plus d’information sur le mouvement zapatiste, nous vous invitons à consulter le site du Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte (cspcl.ouvaton.org) et le livre La rébellion zapatiste de Jérôme Baschet.
2.    Coquillage, escargot : « Le caracol est un gros coquillage de mer ou de rivière, utilisé depuis l’Antiquité maya comme instrument de musique pour convoquer les membres de la communauté. Les cinq caracoles sont les espaces de réunion des zapatistes, également utilisés pour les rencontres nationales et internationales. » (Jérôme Baschet, présentation de Saisons de la Digne rage)

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