Il n’est pas rare, après dix ans de Forum social mondial (FSM), d’entendre une touche de cynisme dans le discours de certains qui se questionnent sur l’utilité de ce processus. L’expérience vécue avec la délégation rimouskoise qui a participé à la onzième édition du FSM à Dakar nous a pourtant montré l’intérêt et la pertinence de ces rassemblements internationaux, surtout au sein du monde déshumanisé dans lequel nous évoluons. Le FSM est plus qu’une grande messe : c’est un lieu où l’on apprend à jouer pleinement notre rôle d’acteurs de changement et à ne pas s’avérer les perdants du jeu social. Les participants y apprennent à dépasser la résistance en entrant dans l’offensive par la mise en œuvre d’alternatives souhaitables et désirées de façon commune.
« Tous portent un projet alternatif : la femme qui vend des cacahuètes en porte un », affirme Moussa Diop, chef de service régional de l’Action éducative en milieu ouvert. Le Forum permet justement à cette dame de prendre conscience que son projet est possible et fondé. Il lui rappelle qu’elle n’est pas seule et qu’exercer sa citoyenneté en prenant la parole demeure le meilleur moyen pour lutter en faveur d’une dignité humaine globale.
Si plusieurs ne réalisent pas la force qui sommeille en eux, les étudiants sénégalais sont en majorité très conscients de leur pouvoir d’action. Les conditions de vie dans lesquelles ils doivent évoluer dans le cadre de leurs études à l’Université Cheikh Anta Diop les amènent évidemment à porter des revendications pour une éducation accessible, de qualité et respectueuse de la dignité humaine. Les salles de classe bondées de plus de 500 étudiants, où le professeur n’a pas de micro ; le manque de places chroniques, où les étudiants doivent arriver au moins une heure avant le début des cours au risque de devoir y assister par la fenêtre ; la vie à dix personnes dans une chambre de résidence où seulement deux lits sont disponibles : des situations aberrantes, mais conséquentes d’une université où environ 90 000 étudiants sont admis malgré une capacité limite de 10 000 étudiants.
Mais au-delà du combat quotidien relié à cette situation alarmante, les étudiants trouvent le temps de s’indigner et de lutter contre d’autres fléaux qui touchent le pays.
Une des rencontres marquantes de notre participation au FSM a été celle du collectif « Ensemble, arrêtons le plomb », réunissant une soixantaine d’étudiants militants. Une usine de transformation de plomb a été implantée dans la petite ville de Sébikhotane, à 45 km de Dakar, suite à un accord entre le gouvernement et la société d’exploitation indienne Pagrik. Cette implantation, faite sans aucune considération pour l’opinion publique, est évidemment devenue source d’indignation chez les jeunes, mais aussi chez les plus vieux. Ainsi, des actions concertées sont menées avec les luttes de Mont-Rolland et de Thiaroye-sur-mer, où les droits des communautés ont également été bafoués concernant la présence du plomb et de ses effets néfastes sur la santé, pourtant maintes fois démontrés.
Ce que nous retenons de ces luttes partagées lors du Forum, c’est surtout l’engagement et le travail des étudiants avec les autorités traditionnelles des communautés, les deux camps alliant leurs forces et leurs faiblesses. Nous avons été marquées par la fougue et la rage d’une jeunesse étudiante portée par un idéal dont l’horizon s’étire au-delà des frontières de Sébikhotane : celui d’un monde où les communautés sont maîtresses de leur destinée.