Non, mais vous savez pas ce que c’est, vous autres, habiter au bout d’un rang et voir la bande passante haute vitesse défiler à gauche, à droite, en haut, en bas, au village et à la ville, pendant que chez vous, rien, nenni, le calme plat, les petits pixels pépères qui s’empilent mollement les uns sur les autres pendant que vous vous coulez un café ou que vous lisez le journal. J’imagine la frustration des anciens, avant l’électrification rurale, quand ils voyaient le magasin général éblouissant de lumière alors qu’ils devaient encore s’éclairer au fanal et traire les vaches à la main!
Et je puis en attester, j’en suis un témoin vivant : la haute vitesse, ça marche, ça marche en bibitte! De fait, non seulement ça marche, mais ça court! Non, mais c’est pas des farces, depuis qu’ils sont venus accrocher leur petit bidule à micro-ondes sur le mur extérieur de ma maison, les choses ont commencé à accélérer à une vitesse vertigineuse partout à travers le monde! En quelques semaines à peine, ils ont réussi à faire tomber deux dictateurs qui étaient rivés au pouvoir depuis avant même l’invention d’Internet! Imaginez, des potentats en place depuis 25, 30 ans qui, le temps de le dire, vacillent sur leur socle comme les statues de Staline ou de Saddam Hussein! Bye! Bye! Ils sont partis! C’est arrivé si vite, qu’au début, Moubarak n’a vraiment rien compris à ce qui se passait. Eille, chose, envoyer les chameaux avec leurs gros sabots dans la rue contre Facebook et Twitter. Non mais faut-tu être arriéré rien qu’un peu! Tasse-toi mononcle, c’est la haute vitesse qui passe!
Et on me dit que ça ne fait que commencer. De fait, le temps que ma chronique se rende à ma rédactrice en chef, et que vous, heureux élus, puissiez parcourir ces modestes lignes, il va s’être passée une éternité! Désuétude des médias écrits? Je n’irais pas jusque-là. Mais au moment où ce texte vous parviendra, il se peut fort bien qu’en Algérie, au Yémen, en Libye, en Syrie, toutes les Places de la liberté aient déjà été envahies par des foules en liesse, incrédules devant le nouveau pouvoir qui est maintenant le leur.
Mais ce qui me fascine le plus, c’est ce qui risque de se passer ici, chez nous. Il ne s’en est en effet fallu que de deux semaines pour venir à bout de ces dinosaures incrustés dans le sable du désert depuis des décennies, deux semaines pour que Ben Ali pacte ses lingots d’or et s’envole vers d’autres cieux, deux semaines pour que le pharaon mette un terme à son mode de vie pyramidal et songe à gagner l’une ou l’autre de ces Hosni de belles baraques sises à New York, Paris, ou ailleurs, ces résidences de prestige qu’il s’est payées avec des cheiks qu’il a signés en trempant sa plume dans le sang de son propre peuple, une pinotte puisée à même les 50 milliards qu’il est parvenu à se mettre de côté pendant son règne. Si ça été aussi vite pour se débarrasser de ces plaies d’Égypte et d’ailleurs, imaginez ici ! Imaginez ceux qui vaquent à leurs petites affaires plus ou moins croches ou plus ou moins démocratiques depuis seulement quatre ou cinq ans, ils vont être balayés dans le temps de le dire, comme les rives du Saint-Laurent! Ça prend juste une couple de vagues un peu plus grosses que les autres, et puis ça y est! Ils vont clairer l’horizon à leur tour!
Wow! la haute vitesse, c’est l’investissement le plus profitable de ma vie! Du viagra cybernétique. De la méthédrine virtuelle. De l’adrénaline en mégabits. De l’énergie en tube, comprimée, prête à jaillir, et qui peut être relayée d’un bout à l’autre du monde en l’espace de quelques secondes et de quelques clics!
Allez les plus jeunes! Ces incroyables réseaux peuvent servir à autre chose qu’à gratter en public nos petits bobos d’Occidentaux, à partager nos photos de party ou nos émotions de banlieusards. Comprenez enfin, qu’après Gutenberg, le monde s’est doté d’outils de communication et de mobilisation tels qu’il n’y en a jamais eu sur cette foutue planète. Bien sûr, on ne vit pas ici la répression, on ne connaît pas les bains de sang. Rien de comparable avec ce qui se passe au sein de ces dictatures. Mais pour faire entendre raison à des gouvernants qui n’écoutent plus leur peuple, pour obtenir un moratoire sur l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste et sur la mainmise de l’ensemble du territoire québécois par des compagnies privées, la plupart étrangères; pour exiger une commission d’enquête là où la corruption est en train de s’ériger en système, que diriez-vous d’un petit rassemblement, disons de 500 000 personnes, sur les terrains du Parlement, le premier mai? Je lance l’invitation, comme ça. Peut-être qu’on peut se mobiliser pour autre chose qu’un aréna, après tout? Pas sûr…