À chaque étape du développement de la lutte, s’imposent à la fois l’autocritique et
le dépassement. Cette autocritique et ce dépassement commandent en certains cas
des remises en question radicales et des révisions pénibles. Cela ne doit pas nous
surprendre et encore moins nous terroriser. Car c’est là l’une des conditions
sine qua non du progrès de la lutte elle-même et de son issue victorieuse. L’on ne
se bat pas en effet pour avoir raison théoriquement « sur toute la ligne », mais pour
vaincre l’oppression et l’exploitation sur tous les fronts.
– Pierre Vallières
Depuis quelques années, le mouvement syndical peine à retrouver son souffle et son aplomb. Même si les conflits de travail sont moins nombreux et surtout moins durs (le conflit de travail au Journal de Montréal fait exception) qu’à une certaine époque et que les travailleuses et les travailleurs du secteur public, comme celles et ceux du secteur privé, acceptent régulièrement de faire des concessions de toutes sortes, les syndicats continuent régulièrement de se retrouver malgré tout sur la sellette. Attaqué de toutes parts par les tenants du « chacun-pour-soi » et par les nouveaux évangélistes du libéralisme économique, le syndicalisme québécois s’est malheureusement retranché dans une délicate position défensive, laissant ainsi la voie libre aux ténors de la démagogie néolibérale qui martèlent jour après jour que les syndicats sont responsables d’à peu près tous les maux du Québec.
En effet, à écouter les Lucien Bouchard, Pierre Karl Péladeau, l’Institut économique de Montréal et autres Réseau Liberté Québec de ce petit monde, la crise des finances publiques, les déficits gouvernementaux, le manque de productivité de nos entreprises, les taux de décrochage scolaire ou même les débordements en santé seraient imputables à la « trop grande force » du mouvement syndical québécois. Sans embûches (on peut comprendre quand on connaît les deux grands propriétaires des médias au Québec) et sans véritable riposte (le mouvement syndical et les mouvements sociaux en général n’ont pas encore trouvé le moyen de se doter de moyens de communication de masse), ce discours antisyndical a fait peu à peu son nid dans l’opinion publique québécoise. Et pourtant.
Quand on connaît les dégâts causés à la Caisse de dépôt par le laisser-aller et l’incompétence crasse des libéraux de Jean Charest, que l’on sait le gaspillage éhonté et la collusion évidente qui règne dans l’industrie de la construction, que l’on évalue que d’importantes sources de revenus dorment sous le soleil de l’exploitation, les redevances minimales ou même impayées par les grandes entreprises qui tirent profit de nos ressources naturelles (minerai, gaz, eau, forêt), par exemple, il serait nécessaire d’élever le ton et de remettre les pendules populaires à l’heure de la réalité. Et que dire des baisses d’impôts consenties aux mieux nantis en 2008 par le gouvernement Charest. C’est plus d’un milliard de dollars qu’on a soustrait aux coffres de l’État. Et on ne parle pas encore de l’évasion fiscale qui représenterait des centaines de millions de dollars qui échappent au trésor public.
En mai dernier, même La Presse Affaires, qui n’est pas un média gauchiste, avouons-le, soulignait que l’écart de richesse connaissait un sommet présentement au Québec. Citant une étude de l’Institut de recherche et d’information socioéconomiques (IRIS), elle rapportait que 70% des familles du Québec se seraient appauvries au cours des trente dernières années. Pendant ce temps, 10% des familles les plus riches auraient connu une augmentation de leurs revenus. La Presse Affaires notait également que les familles québécoises travaillent aujourd’hui jusqu’à huit semaines de plus par année qu’il y a trente ans et que cette augmentation du temps de travail aurait surtout été réalisée par la moitié la plus pauvre des familles.
Décidément, dans un pays où le taux de syndicalisation est d’environ 40%, la grande force du mouvement syndical, dénoncée à qui mieux mieux, ne semble pas avoir l’impact escompté sur la réalité économique et sociale des Québécois. Et je parierais ma chemise que le 10% des familles les plus riches ne militent pas au sein du mouvement syndical…
En fait, le mouvement syndical est devenu le véritable bouc émissaire des promoteurs de la pensée néolibérale. Usant de toutes les supercheries possibles, ces véritables pyromanes idéologiques s’activent autour du bûcher de l’État québécois en utilisant le spectre du mouvement syndical comme combustible accélérant. En fait, à les écouter, l’État n’existerait plus. Ne demeurerait que des individus qui doivent assumer leur part de la facture. Alors, l’occasion est belle de « casser du syndicat ». Et malheureusement, la retenue dont font preuve les grandes centrales syndicales actuellement joue en faveur de ces grands dresseurs d’épouvantail à moineaux.
Mais au bout du compte, qui peinera à payer la facture? Qui devra céder au niveau des conditions de travail? Qui subira la perte de services? Qui se retrouvera acculé à la servitude et à l’obéissance aveugle faute de ressources? Le peuple québécois, les travailleurs syndiqués et non syndiqués, les petits salariés, les familles, les étudiants. Il n’y a pas si longtemps, on appelait ça « la lutte de classes ». Aujourd’hui, on tente de masquer le sens de cette démarche oligarchique sous le fard d’un débat sur les finances publiques.
Trois grands défis : informer, éduquer, mobiliser
Le temps est donc venu de répliquer. Le mouvement syndical doit travailler à rappeler le pouvoir et le devoir de la collectivité, les réalisations de l’État, la force de nos institutions et de nos leviers économiques collectifs. Il faut tirer à boulets rouges sur les Charest, Bachand, Bouchard, Legault et toute la ribambelle de penseurs de droite.
Le mouvement syndical doit sortir de sa torpeur et préparer une nouvelle offensive en nouant des solidarités avec l’ensemble des mouvements de résistance et de contestation. C’est la seule façon de retrouver à la fois notre dignité comme travailleuses et travailleurs et de regagner le respect de l’opinion publique. Il faut occuper le plus rapidement possible les terrains idéologique, médiatique, mais surtout politique. Il est effectivement plus qu’urgent que le mouvement syndical renoue avec l’action politique. Nous ne sommes pas simplement face à un mouvement antisyndical, nous sommes face à un véritable mouvement idéologique, qui se nourrit de la situation économique, pour imposer par la porte d’en arrière une précarisation des institutions de l’État et des conditions de travail et de vie de l’ensemble des Québécois.
Comme militant syndical, j’ai toujours défendu l’importance d’unir dans la mesure du possible les forces syndicales, les mouvements sociaux, les mouvements étudiants, les groupes communautaires et le mouvement environnementaliste. L’opportunité qui s’offre à nous de fonder un nouveau front social, développé dans le respect de chacune des organisations et de chacun des mouvements qui souhaitera y prendre part, permet d’aborder les prochaines années de façon extrêmement positive. C’est au sein de ce vaste mouvement social que nous réussirons véritablement à rebâtir la confiance et la solidarité dont le Québec a besoin pour mener à bien les prochaines luttes sociales, politiques et syndicales. Car, ne l’oublions pas, l’objectif originel du mouvement syndical a toujours été la justice sociale et la solidarité.