« Aujourd’hui, il paraît suspect d’être solidaire. » D’entrée de jeu, le conférencier Atanase Périfan mesure toute l’ampleur du défi annoncé par le thème du 22e colloque du Réseau Villes et Villages en santé, Bâtir des communautés solidaires : une utopie possible. C’était en septembre dernier, à Rivière-du-Loup. Des gens des quatre coins du Québec étaient rassemblés pour questionner la solidarité : « Compte tenu des valeurs qui prédominent actuellement dans la société, nos stratégies locales visant à susciter des comportements altruistes et à construire des communautés solidaires sont-elles adéquates? Y aurait-il de nouvelles pistes à explorer? »
Périfan nous en a offert une. Son concept de la Fête des voisins, lancé en 1999, a fait des petits dans une trentaine de pays. Au Québec, on la souligne dans près de 200 municipalités. Pourtant, le terreau social occidental ne lui apparaissait pas particulièrement fertile. « Sept pour cent des gens seraient animés de pulsions altruistes », affirme-t-il. Bâtir des communautés solidaires en misant sur la faible proportion des gens qui seraient spontanément portés vers autrui, une utopie possible? Mais comment s’y prendre?
« Il faut explorer, exploiter les gisements de générosité », lance le conférencier. En plein débat sur les gaz de schiste, la métaphore minière fait sourire. On comprend la motivation de cet élu municipal parisien qui a eu un jour l’idée d’organiser une fête de quartier, prétexte pour tisser des liens avec les voisins de palier et développer des solidarités de proximité. Il est facile de saisir toute la nécessité de créer des « espaces sociaux autorisés » pour les rencontres dans une capitale comptant plusieurs millions d’habitants. Mais dans nos régions moins populeuses, on aimerait se dire que la solidarité est plus naturelle. Pour plusieurs, la région se démarque comme un milieu de vie enviable grâce justement au lien social, aux rapports humains que ne permettent pas toujours les grandes villes anonymes. Les gens se saluent dans la rue, causent des bouchons de circulation à l’épicerie à force de joyeuses jasettes devant le comptoir à sushi et connaissent nécessairement le demi-frère ou le cousin de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours.
Nous vivons dans des petites villes ou des villages. Nous nous connaissons et nous connaissons aussi les défis qui nous attendent. Nos régions recèlent d’« espaces sociaux autorisés » pour «bâtir des communautés solidaires ». Si 7% des gens sont altruistes et que le taux de participation bénévole au Québec se situe à 34% (comparativement à 50% pour les aux autres provinces canadiennes, comme l’Ontario et le Manitoba), il y a peut-être ici un potentiel de mobilisation sur lequel il est possible de capitaliser, une formidable ressource « naturelle » à exploiter.
À Matane, par un beau samedi matin de novembre, des bénévoles issus de différents milieux participent à une première « Journée de la participation citoyenne ». Une cinquantaine de « gisements de générosité » sont présents dans la salle. Exploités, ils le sont, certains probablement davantage qu’ils ne le souhaiteraient. Malgré leur passion et leur idéalisme, ils ne peuvent passer sous le silence l’essoufflement et la difficulté de trouver une relève prête à reprendre le flambeau. Lorsqu’on aborde le phénomène TLM (toujours les mêmes), les têtes se tournent vers le voisin de table avec un sourire complice. En Matanie comme ailleurs, on connaît souvent tout le monde, mais surtout, les super-bénévoles se connaissent entre eux, siégeant sur les mêmes comités organisateurs, les mêmes conseils d’administration.
La métaphore minière n’est peut-être pas si mauvaise. Après tout, les ressources bénévoles, comme toutes ressources, finissent par s’épuiser. Œuvrant avec cœur dans des organismes auxquels on demande de plus en plus de se substituer au secteur public, les bénévoles se retrouvent face à des défis d’envergure, des défis qu’ils affrontent à grands coups de conviction et d’heures non rémunérées. Mais combien de temps tiendront-ils le coup?
L’exploitation des gisements de générosité? Peut-être, mais alors une exploitation adaptée à aux besoins des citoyens, à leurs aspirations, mais aussi et surtout à leurs limites. Et pour garantir un mieux-être collectif.