Plusieurs municipalités québécoises s’opposent au projet de Bruce Power de transporter des déchets radioactifs par bateau sur le Saint-Laurent. Les dirigeants de cette centrale nucléaire ontarienne ont demandé à la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN) l’autorisation d’acheminer en Suède 16 générateurs de vapeur contaminés, des objets qualifiés de ferrailles recyclables alors qu’il s’agit en fait de déchets radioactifs.
Bruce Power affirme que les risques potentiels de ce projet sont infimes puisque chaque générateur de 100 tonnes contient à peine quelques grammes de produits radioactifs. Présenté ainsi, c’est rassurant. Je vous rappelle cependant que ces produits comportent une toxicité sans égale.
Il y a longtemps, Enrico Fermi (1901-1954), l’inventeur de la première pile à uranium et un des pères de la bombe A, a été invité par le Sénat américain. On s’inquiétait alors du danger pour la santé des relâchements répétés de produits radioactifs dans l’atmosphère à la suite de l’explosion de plusieurs bombes atomiques. Les sénateurs savaient que ces produits cancérigènes et mutagènes retomberaient inévitablement au sol un jour. Fermi leur expliqua que tous les produits de fission relâchés jusque-là étaient peu abondants et qu’ils tiendraient dans un seau de la taille de ceux qu’on utilise pour laver les planchers. Mais il ajouta : « si on jette une cuillerée à café de son contenu sur New York, cela tuerait instantanément 100 000 à 150 000 personnes ».
Et si on parlait de l’accident de 1957, à Windscale au Royaume-Uni ? Cet incendie dans un réacteur nucléaire a rejeté dans l’environnement 20 000 curies d’iode radioactif en plus de nombreux autres produits de fission, ce qui est énorme. Eh bien, ce niveau radioactif de 20 000 curies correspond à moins de 2/10 de g d’iode-131. Vous avez bien lu. Et cette quantité a suffi pour provoquer diverses maladies, tuer des gens et rendre impropres à la consommation le lait et plusieurs autres denrées alimentaires sur un territoire de 500 km2 durant des semaines. Ça donne une idée du niveau de toxicité auquel on fait face dans ce dossier.
Revenons aux 16 générateurs de vapeur que Bruce Power aimerait bien faire voyager sur les Grands Lacs et le fleuve Saint-Laurent, la principale source d’eau potable de millions de personnes. Chacun de ces générateurs contient environ une once de produits radioactifs, ce qui correspond à 28 g (140 fois la quantité d’iode-131 relâchée à Windscale). Pire, les produits les plus toxiques feront à nouveau le voyage en direction de la centrale de Bruce Power pour enfouissement final.
En fait, ce projet ne considère ni l’environnement ni la santé publique. Il vise plutôt à réduire le volume de déchets radioactifs à traiter au Canada, comme l’a clairement dit Michael Binder, le directeur de la CCSN, aux audiences publiques du 29 septembre. Et ce, même si cela implique de faire voyager des produits dangereux dans la vallée du Saint-Laurent, en plus de permettre la refonte de métaux, eux aussi toxiques, qui seront ensuite mélangés à d’autres métaux avant d’être revendus sur le marché mondial.
La CCSN doit refuser cette requête de Bruce Power. Au moment où plusieurs réacteurs canadiens nécessitent des rénovations majeures, le voyage de ces générateurs de vapeur contaminés constituerait un dangereux précédent.
Julie Lemieux est l’auteure du livre Avez-vous peur du nucléaire ? paru en 2009 aux éditions MultiMondes.