Tel était le titre de la conférence internationale se déroulant les 22 et 23 septembre dernier au Centre de Congrès de Lévis. Organisée par le Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM) et plusieurs autres partenaires, cette conférence a réuni plus de 500 personnes des secteurs coopératifs, syndicaux, communautaires, écologistes, politiques et universitaires pour discuter d’un thème peu abordé dans l’espace médiatique : nos projets de sociétés. Je ne prétends pas faire ici un survol exhaustif de l’ensemble de cette rencontre – une publication sera publiée sous peu sur le site du CQCM afin de rendre compte de toutes les conférences –, mais plutôt soulever quelques points ayant attiré mon attention durant ces deux jours.
Une dénonciation claire et généralisée des échecs du capitalisme
Crise écologique et alimentaire, incapacité à distribuer les richesses, croissance unidimensionnelle insoutenable, génération de crises successives, déficit démocratique, délocalisation des pôles de décision et de production, spoliation du bien commun, etc. Le système capitaliste a été vilipendé par tous les intervenants présents, institutionnels ou citoyens, de centre ou de gauche ; la critique était unanime et rassembleuse. La proposition de Felice Scalvini1 appelant à l’urgence de promouvoir une « biodiversité entrepreneuriale » où « l’ADN coopératif » serait renforcé a trouvé beaucoup d’écho : « La monoculture capitaliste, où les grandes entreprises à actions se présente comme “le” principal moteur de développement, a presque détruit la biodiversité entrepreneuriale […] Les médias ne parlent que de finances spéculatives et les bourses semblent être le centre du monde décidant de notre destin. » Selon Scalvini et plusieurs autres intervenants présents, pour sortir de la crise, il faut que le système coopératif acquière la bonne réputation qu’il mérite auprès de l’opinion publique.
L’importance économique et sociale des coopératives et des entreprises d’économie sociale
Dans le monde, les coopératives et les mutuelles créent 20 % plus d’emplois que les multinationales. Au Québec, le secteur coopératif crée plus d’emplois que tout autre type d’entreprises. Selon le Chantier de l’économie sociale et le CQCM, on compte au Québec plus de 7 000 entreprises collectives (coopératives et OSBL) créant plus de 125 000 emplois et plus de 22 milliards $ de chiffre d’affaires. On les retrouve dans une quarantaine de secteurs : parmi eux, les services financiers, l’agroalimentaire, les médias, les services aux personnes, la petite enfance, les arts et les loisirs. Ce type d’entreprises a beaucoup mieux résisté à la récente crise économique, enregistrant dans son ensemble une croissance économique supérieure (2,2 %) aux entreprises traditionnelles en plus de présenter à long terme un taux de survie plus élevé que ces dernières, et ce, sur une période de cinq ans (62 % vs 35 %) ou de dix ans (44 % vs 20 %). De plus, 60 % des emplois créés par le secteur coopératif sont situés en région. « C’est le mouvement coopératif qui apparaît comme le mieux placé pour garantir le rattachement de l’économie au territoire : les coopératives sont initiées par des acteurs locaux, elles dépendent de leur engagement volontaire et solidaire ; leur capital, indivisible, inaliénable, n’est pas délocalisable », explique Jean-François Draperi, rédacteur en chef de la RECMA2.
Le secteur coopératif : réseau d’entreprises ou mouvement ?
Suite à une dénonciation en règle du système capitaliste et à une revalorisation publique du secteur coopératif et de l’économie sociale, il était pertinent de se demander comment cheminer vers un autre modèle économique et en quoi la coopérative est-elle en train de faire contrepoids au système dominant. Comment se définir à la fois comme des entreprises répondant aux besoins du marché et comme un mouvement nourri par des aspirations sociales et souhaitant s’inscrire dans une transformation de la société ? Le secteur coopératif entretient actuellement des rapports d’affaires avec l’État ou encore de partenariat. Bien qu’il soit un agent de changement, il répond davantage à une logique sectorielle qu’à un élan collectif visant un idéal commun précis. « Nous ne participons pas au rapport de force : économie publique vs économie privée, alors que nous occupons un tiers de la place. Il y a une absence totale de convergence pour investir le politique. Il faut que nous assumions la dimension politique de notre action si nous souhaitons avoir un résultat global », affirme Gérald Larose, président de la Caisse d’économie solidaire. Même son de cloche chez Felice Scalvini et le journaliste Jean-François Lisée qui soulignent respectivement l’importance de développer l’action politique et de travailler de manière intégrée du local au global ainsi que l’obligation pour le secteur coopératif d’accroître sa visibilité dans les débats publics.
Si les coopératives et les entreprises d’économie sociale sont plus qu’une simple forme d’entreprise ou de modèle organisationnel, mais bien un projet de société en soi, capable d’influencer les États et l’ordre mondial, force est de constater qu’un grand travail de réseautage et de convergence reste à faire pour assister à de grandes transformations. Cela dit, ce secteur n’est pas qu’une alternative lointaine au système capitaliste, il contribue dès maintenant – et depuis fort longtemps – à mettre en place des stratégies organisationnelles différentes où prévalent des valeurs de justice économique et sociale qui, espérons-le, grandiront dans l’espace public.
Les suites de la conférence internationale
La conférence internationale n’est qu’une première étape menant à une mobilisation des régions en 2011 qui servira de coup d’envoi à la mise en forme de projets locaux et internationaux en préparation de l’Année internationale des coopératives en 2012, telle que promulguée par l’ONU.
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Notes :
1. Président de la Confédération européenne des coopératives de production et de travail associé, des coopératives sociales et des entreprises sociales et participatives (CECOP) et membre du conseil d’administration de l’Alliance coopérative internationale.
2. RECMA : Revue des études coopératives, mutualistes et associatives, France.