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Frère André et Bapemobile

Par Pierre Landry le 2010/12
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Frère André et Bapemobile

Par Pierre Landry le 2010/12

Avouez que c’est un peu décevant. L’Église catholique a eu le haut du pavé pendant une bonne centaine d’années au Québec – sans compter les quelques siècles qui ont précédé une plus récente période d’hégémonie quasi totale –, et quel est le résultat tangible de cette omniprésence agissante ? Du nombre incalculable des apôtres qui, pendant cette éternité, se sont voués au sacerdoce et au renoncement qu’il exige, seules deux personnes ont été jugées assez « performantes » pour qu’on les estime dignes d’accéder au statut suprême, celui de la sainteté ! Et le dernier en lice n’est qu’un pauvre portier souffreteux qui œuvrait au plus bas de la hiérarchie.

Heureusement que nous avons d’autre part conservé dans notre vocabulaire toute une gamme de signifiants venus tout droit de la pratique religieuse et que nous n’hésitons pas à les employer encore aujourd’hui, le plus souvent dans les moments les plus douloureux ou les plus critiques de notre existence. Je blague, naturellement. Jamais je ne chercherais à dénigrer la bonne foi et le dévouement de ces milliers d’infatigables travailleurs et travailleuses qui se sont notamment voués corps et âme au bien-être des malades et ont apporté soins et réconfort aux plus démunis de la société, et ce, pendant des siècles et des siècles, amen.

Cet intervalle plus récent où malheureusement le pouvoir politique et le pouvoir de l’Église communiaient trop souvent à la même sainte table, cette époque tout de même assez sombre où une chape de dogmes et de croyances maintenait l’individu claustré dans un carcan morbide, on en a clos le chapitre en l’affublant d’un titre digne des films d’horreur les plus terrifiants, du style de ceux qui sont toujours en vogue à ce temps-ci de l’année. Question qui tue : la Grande Noirceur a-t-elle été définitivement rayée de notre ciel par la Révolution tranquille et, de manière plus dramatique, par les éclairs aveuglants jaillis de la crise d’Octobre ?

Si l’on a tendance à répondre spontanément oui à cette question, et d’une manière un peu hâtive, on fait peut-être abstraction de certaines réalités qu’il serait sans doute bon de ne pas occulter. Peut-on en effet considérer comme clairvoyante et lumineuse l’idéologie qui sous-tend le gouvernement Harper ? En effet, puisqu’il est question d’éclairage, il ne faut pas oublier que le siècle des Lumières a triomphé en opposant la science aux croyances, c’est-à-dire en avançant que ce sont les faits scientifiquement démontrables qui devraient justifier nos actions, et non pas les superstitions et les convictions fondées sur l’arbitraire.

Dans un autre ordre d’idées, et si l’on revient à la période dite de la Grande Noirceur évoquée plus haut, il ne faut pas oublier qu’un autre joueur d’importance majeure tirait lui aussi les ficelles au sein de la Trinité toute puissante qui guidait nos destinées : le Capital. Or, si l’Église a perdu du galon, si les États en arrachent et parviennent difficilement à boucler leur budget, le Capital, lui, s’en tire à merveille et poursuit son déploiement tentaculaire sans coup férir.

L’État devrait par conséquent agir tel un chien de garde féroce face à ce pouvoir corrosif, illégitime, qui s’insinue dans toutes les sphères de l’activité humaine, qui ne connaît aucune morale, et dont la seule préoccupation est celle du profit à court terme. Dès l’instant où nos gouvernements refusent de reconnaître ce mandat primordial qui leur est dévolu, dès le moment où la notion du développement à l’aveugle se pose comme le seul et unique credo, on commence à tamiser les lumières de l’objectivité scientifique, on multiplie les zones d’ombre, on privilégie l’obscurité à la lumière. On peut même aller jusqu’à pervertir le rôle premier de l’État et travestir la fonction des outils que la collectivité s’est donnés dans le but de s’assurer d’un avenir viable.

Ainsi, alors que son utilité première devrait être de veiller en tous points et en tout temps à la qualité de notre environnement, le ministère du même nom se transforme en un outil de propagande et de défense des intérêts du Capital. Ainsi, on met sur la route une Bapemobile qui n’a plus que trois roues et deux cylindres, pendant que TOUTES les terres de la vallée du Saint-Laurent sont « claimées » et susceptibles d’exploitation d’un gaz dont les vertus miraculeuses, nous dit-on, devraient nous sauver de la déchéance économique, mais dont l’extraction peut causer des torts irréparables dont on préfère taire la nocivité. C’est comme si un premier ministre dormait au gaz dans le lit des Ressources naturelles, et que les deux partageaient leur couche avec l’ensemble de l’industrie.

Merci au Vatican d’avoir canonisé le portier de Notre-Dame, notre très cher Frère André, parce que, par les temps qui courent, on ne sait vraiment plus à quel saint se vouer ! Et on aurait certainement besoin d’au moins deux ou trois miracles pour que quelques lumières s’allument enfin dans le cénacle gouvernemental !

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Novembre-décembre 2010

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