Thierry Gosselin s’est rendu en Louisiane cet été afin de documenter l’étendue des impacts de la marée noire américaine.
Au Québec, plus que jamais, nous sommes confrontés à notre façon de consommer et de produire de l’énergie. L’industrie, bien consciente de notre énorme potentiel gazier et pétrolier, a tôt fait de nous rappeler notre vulnérabilité face aux aléas du marché. Nos élus concernés sont maintenant pris à rêver. On projette d’ici quelques années de vastes chantiers pétroliers et gaziers.
En absence d’une approche écosystémique et d’un plan à long terme, à quoi s’accrocher? C’est maintenant moi qui suis pris à rêver. Voici deux scénarios de ce qui aurait pu se produire cet été…
Synopsis du scénario 1
Communautés côtières menacées
À peine remises des nombreux ouragans qui viennent modifier annuellement la géographie de leur vaste delta, plusieurs communautés du golfe du Mexique se retrouvent maintenant confrontées au reflet abîmé de leur réalité. C’est un réveil brutal pour l’Amérique du Nord qui se croyait à l’abri de ce type de catastrophe industrielle. La réponse est quasi spontanée, tout un arsenal est déployé. Les Américains, qu’on se le dise, sont en guerre contre (ou pour) le pétrole. Croyant bêtement que cette industrie peu règlementée et peu contrôlée allait déployer la fine pointe de la technologie pour mettre fin à cette tragédie, le monde entier observe avec stupéfaction le golfe du Mexique se noircir de pétrole durant plus de trois mois.
Bayous menacés
Les bayous sont fragilisés par les pelles mécaniques. Ils sont oubliés par le tiers des États-Unis qui préfère l’agriculture industrialisée. Leur proximité et l’ampleur de la catastrophe cautionneront un douloureux compromis environnemental. L’agence gouvernementale concernée s’abaisse devant politiciens et industriels. On autorise l’utilisation de millions de litres de dispersants chimiques en surface et en grande profondeur pour augmenter la biodégradation des hydrocarbures. Le corexit est venu littéralement colorer notre perception de la marée noire, loin des yeux, loin du coeur, dit-on!
Océans menacés
Une annonce viendra confirmer la présence de plumes de produits pétroliers sur plusieurs kilomètres, peut-être même accompagnées de superbactéries sous-marines équipées pour les dévorer. Rien de très surprenant, car insectes, amphibiens, crustacés, mollusques, tortues, oiseaux et mammifères en auront aussi en bonne quantité à leurs menus et il sera impossible de changer de réseaux trophiques. Mais après quelques décennies d’études scientifiques sérieuses, le monde entier comprendra que permettre à des apprentis de réaliser une expérience chimique non contrôlée à grande échelle n’est pas sans conséquence sur l’écosystème et notre santé.
Bref, pendant ce qui parait être une éternité, les réalisateurs et producteurs de ce désastre bricolent, avec des technologies vieilles de quelques décennies, des solutions prédestinées à ne faire rien de mieux qu’une série B.
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Synopsis du scénario 2
Maintenant, tentez d’imaginer un second scénario où une assurance responsabilité de 70 milliards de dollars est exigée dès le début des activités industrielles. Le montant de l’assurance requise a été fixé par des experts indépendants en fonction du risque de dommages que peut potentiellement imposer cette industrie aux communautés et aux biens et services que la nature nous rend gratuitement. Pour une industrie de la taille de BP, ceci représente probablement le quart de la valeur totale de la compagnie (avant son crash en bourse de cet été). Cette assurance est un incitatif, un avertissement, qui permet aux industriels de bien comprendre les risques qu’imposent leurs activités à la société.
L’industrie a maintenant quelques options. Elle peut décider d’user de créativité et de redoubler de moyens et de contrôles pour diminuer l’assurance requise. Les compagnies se démarqueront par l’achat ou l’investissement en recherche et en développement des technologies qui réduisent ces risques. Aucun permis d’exploitation ne serait délivré aux compagnies ne disposant pas des ressources monétaires ou techniques pour entreprendre ce genre d’opération, car les agences de contrôle et d’émission de permis défendent – ou du moins, devraient – les intérêts publics et non ceux du privé.
Nous avons maintenant un système qui encourage l’industrie à trouver des moyens pour réduire les risques au lieu de les ignorer. Plusieurs outils sont disponibles pour incorporer la pleine valeur des biens et des services écosystémiques dans les processus décisionnels ainsi que dans la comptabilité corporative et publique. Actuellement, notre société prend beaucoup trop de risques avec ses écosystèmes naturels, dont la valeur commence à peine à être reconnue.
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Déconstruction
L’accident survenu dans le golfe du Mexique sur la plateforme Deepwater Horizon (scénario 1) représente probablement le pire scénario qu’aurait pu imaginer un groupe d’experts américains. Un des problèmes fondamentaux avec notre gestion du risque environnemental est la responsabilité après-coup et partielle des dommages causés aux biens publics par nos industries. Le fardeau de la preuve repose sur les citoyens, les commerces et les industries touchées par les tragédies.
Cet été, BP apparaît comme le cancre de l’industrie pétrolière pour avoir voulu épargner quelques millions de dollars en croyant inutile un puits de sécurité et un système redondant de contrôle acoustique pour le bloc obturateur qui a fait défaut. Si la société avait exigé le meilleur de ses industries et des agences de contrôle gouvernementales, BP et ses complices auraient, au tout début de leurs travaux, considérés sérieusement toutes les options disponibles. L’assurance salée aurait persuadé British Petrolium qu’effectuer un puits de secours et installer des dispositifs de contrôle acoustique, préalablement testés en grandes profondeurs, représentaient une véritable aubaine!
L’industrie pétrolière et gazière n’est pas si différente des autres industries qui sont régulièrement tentées de prendre des raccourcis pour aller plus vite et économiser, surtout si elles peuvent le faire sans grand risque d’être pincées ou réprimandées. Son opulence lui permet sans aucun doute d’exercer une pression politique que très peu d’industries peuvent se permettre. Toutefois, elle n’est pas la seule à tenter d’aller sous la couverture de la complicité politique pour entretenir une curieuse philosophie : la privatisation des profits et la socialisation des pertes. Si les entreprises pétrolières ne sont pas tenues responsables dès le début de leurs activités, elles continueront d’utiliser leurs capitaux pour explorer des réserves d’hydrocarbures risquées qui maintiennent notre dépendance aux sources non renouvelables d’énergies, une dépendance qui ne peut plus physiquement être maintenue.