Émilien Pelletier est professeur en océanographie chimique à l’Université du Québec à Rimouski. Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en écotoxicologie marine, il est entre autres impliqué depuis de nombreuses années dans le parc marin du Saguenay-Saint-Laurent. Le Mouton NOIR l’a rencontré afin de faire le point sur les hydrocarbures en milieu marin. Voici quelques extraits de l’entrevue.
G. G. C. – Quels sont les principaux enjeux liés à l’exploration et à l’exploitation des hydrocarbures dans le Saint-Laurent?
É. P. – La problématique et les enjeux Estuaire et Golfe sont quelque peu différents, et ce, essentiellement pour des raisons géographiques, océanographiques et topographiques.
L’Estuaire, par sa petite taille, la fragilité de son écosystème et les nombreuses activités qui y sont développées, est particulièrement sensible aux impacts du développement des hydrocarbures. Il est à prévoir que le tourisme, la pêche et même le transport maritime souffriront presque immédiatement d’une éventuelle mise en branle des activités de forage et d’exploration pétrolière.
Lorsqu’on parle d’exploitation des hydrocarbures en milieu marin, on parle non seulement de l’activité elle-même, mais aussi de la mobilisation d’une plate-forme de forage : c’est loin d’être simple. Et ça prend de grands capitaux, le plus souvent étrangers. Il ne faut pas s’imaginer que ça se fait comme en milieu terrestre avec quelques millions de dollars. […]
Et il n’y a pas que les impacts environnementaux, il y a aussi la perception. S’il y a un forage qui se fait dans le Saint-Laurent, je ne donne pas cher des pêcheries. Les gens ne voudront pas des produits halieutiques qu’on sortira du Saint-Laurent à côté d’un puits de forage, et ce, même si leur perception est fausse. C’est exactement ce qui est en train de se passer pour les crevettes du golfe du Mexique. Il y a des pêcheurs qui pêchent la crevette dans des zones qui n’ont pas été affectées par l’accident pétrolier, et les gens n’en veulent pas. Il y a de toute évidence un conflit d’usages et je ne vois pas très bien comment on peut le résoudre. […]
Un élément qui me tient grandement à cœur est le parc marin du Saguenay-Saint-Laurent. L’exploitation pétrolière entrerait en conflit avec l’objectif de protection et de conservation du Parc. Elle limiterait la mise en place d’une éventuelle zone de protection marine du Saint-Laurent pour laquelle nous sommes sans réponse et sans développement depuis de nombreuses d’années. Cette zone de protection marine n’est pas un parc, et n’empêcherait pas d’éventuels forages, mais elle permettrait d’augmenter la protection des mammifères marins et des écosystèmes.
La situation du Golfe est un peu différente. Les côtes sont généralement plus éloignées, les ressources halieutiques aussi. […] La mer peut être [toutefois] à ce point mauvaise qu’elle peut causer des dommages importants. En hiver, il y a la dérive des glaces, qui peuvent partir sans avertissement, et de nombreux problèmes qui sont rarement rencontrés dans les zones tempérées ou tropicales. Un déversement pendant cette période de l’année serait la pire situation que l’on puisse connaître puisque nous n’aurons aucun contrôle sur ce qui va se passer. Un déversement en face de Rimouski pourrait se retrouver à Gaspé, puis aux Îles de la Madeleine. […]
Je ne suis pas partisan de l’exploration extracôtière des hydrocarbures dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent. Je ne vois pas les gains véritables. Notons que je n’ai pas la même position en ce qui a trait à l’exploration terrestre. Les risques environnementaux sont infiniment plus limités. […]
G. G. C. – Quelle devrait être l’attitude des instances locales et régionales dans le dossier?
É. P. – Il est évident que les autorités municipales et régionales devraient avoir beaucoup moins peur de s’impliquer ; je sais qu’elles sont souvent très hésitantes. On le voit aux Îles de la Madeleine. Encore aujourd’hui, j’ai entendu le maire, qui fait preuve d’une très grande prudence… Les maires sont très proches des milieux économiques. Ils sont sensibles aux promesses des promoteurs. […] Avec 55 km de côtes, Rimouski a beaucoup à perdre en ce qui concerne la qualité de vie de ses citoyens. J’aimerais entendre le maire Éric Forest là-dessus. […]
On ne fait pas d’un forestier un mineur, ni d’un pêcheur un employé sur une plateforme de forage. Quand on aura fait les grands trous qu’on veut percer, ce ne seront pas les Madelinots qui vont travailler sur les installations, ce sont des travailleurs spécialisés. C’est un monde en soi. […] C’est tout à fait illusoire de penser que ça va créer des emplois. Honnêtement, il n’y aura pas de véritables retombées pour les communautés. Certains maires prennent la mesure des choses et se rendent compte que ça va leur passer sur le corps. Et leur municipalité n’en gagnera pas grand chose.
G. G. C. – Qu’attendez-vous des audiences publiques prévues cet automne dans le cadre la première EES ?
É. P. – Nous étions supposés avoir le rapport en juin dernier et nous ne l’avons toujours pas. […] Les audiences publiques vont certainement être reportées. Ce serait insensé de nous lancer un pavé de plusieurs centaines de pages et d’ouvrir les audiences. N’importe qui qui s’y présente devrait avoir lu au moins le résumé. Pour ma part, je désire voir la qualité de la science et de la rédaction. Si l’on veut faire une analyse raisonnable de ce type d’évaluation, il faut que nous ayons quelques mois pour l’examiner. […] Encore là, ces audiences ont une portée relativement limitée.
Je crois aux audiences publiques lorsqu’elles sont bien menées, car elles permettent aux citoyens de s’exprimer en démocratie. C’est aussi une façon pour les promoteurs de n’importe quelle activité de voir le niveau d’acceptabilité d’une opération. […]
G. G. C. – Comment expliquez-vous l’empressement du gouvernement à aller de l’avant avec l’exploitation pétrolière extracôtière?
É. P. – Je suis convaincu que c’est lié au contexte économique. Pour les gouvernements provinciaux comme fédéral, le PIB gouverne le développement économique du pays. Tout ce qui promet d’ajouter des activités économiques importantes va recevoir leur aval. Nathalie Normandeau, ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire, a répété à plusieurs reprises que le gouvernement va prendre toutes les précautions nécessaires. Mais elle ne remet pas en question le fait même de développer la filière des hydrocarbures en milieu marin. […]
Nous sommes tellement dépendants du pétrole et du gaz que nous ne pouvons nous empêcher de faire des liens très proches entre le développement économique et la présence des hydrocarbures. Quand on dit, et ce n’est que des prédictions, qu’il y a des milliards de barils de pétrole dans le Golfe, c’est évident que les politiciens salivent. Soit dit en passant, l’autonomie énergétique pétrolière du Québec est un mythe. Et ce, même avec plusieurs puits en exploitation dans le Saint-Laurent. […]
Les prévisionnistes les plus sérieux pensent qu’il ne reste d’une vingtaine d’années à la bulle pétrolière. En 2030-2035, le climax du pétrole va être atteint, peut-être même dépassé. Ça veut dire qu’à ce moment-là, les autres technologies seront suffisamment développées pour remplacer les hydrocarbures. Des investissements majeurs commencent à se faire dans le domaine des biocarburants. Exxon Mobil et une compagnie spécialisée en génétique annonçaient récemment un investissement de 600 millions de dollars en recherche pour les microalgues qui vont être les futurs biocarburants. […] Il est peut-être juste trop tard pour le développement de la filière des hydrocarbures dans le Saint-Laurent. J’espère secrètement que c’est le cas.
Rimouski, août 2010