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Alienus : qui appartient à un autre, étranger

Par Myriam Faraj le 2010/10
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Alienus : qui appartient à un autre, étranger

Par Myriam Faraj le 2010/10

Myriam Faraj poursuit sa réflexion, entamée dans le numéro précédent, sur les enjeux territoriaux et identitaires en territoire israélo-palestinien.

Lors de mon départ en quête d’extra-terrestres en terre sainte, je m’attendais à faire quelques rencontres du troisième type. Or, je ne m’attendais pas à en faire autant. À vrai dire, presque toutes mes rencontres étaient du « troisième type ». J’ai tenté de comprendre pourquoi. Je me suis vite rendu compte que même les extra-terrestres sont ici une question politique.

L’aliénation peut être une action (aliéner), celle de transférer un droit ou une propriété à quelqu’un d’autre que son propriétaire original.

L’aliénation peut aussi être un résultat (être aliéné) qui réfère à une perte de liberté, de maîtrise de soi, ou encore est aliéné celui qui subit une forme d’hostilité collective ou une domination étrangère. Par la manière dont le terme est ici entendu, on peut le rapprocher de la désaffection, de l’éloignement et de la séparation.

Aliéner ou comment rendre étranger

L’enjeu du conflit israélo-palestinien est essentiellement territorial. À cet effet, le territoire est soumis à plusieurs types d’aliénation. Qu’il soit question de la conquête et de la création de l’État d’Israël en 1948, de l’occupation militaire israélienne de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza débutée en 1967, ou du tracé et de la construction du mur en Cisjordanie, l’aliénation du territoire se poursuit sous différentes modalités selon les lieux où elle est pratiquée.

En Cisjordanie, l’aliénation est principalement territoriale. Il s’agit en grande partie d’annexion et d’expropriation pour la construction du mur et l’implantation des colonies. Aussi, les restrictions à la mobilité imposées par l’occupant rendent difficiles les déplacements, séparant ainsi les gens. La Bande de Gaza est aliénée du reste du monde par son isolement, produit du sévère blocus mis en place par l’armée israélienne qui contrôle toutes les voies d’accès. C’est une séparation brutale du monde par un pouvoir étranger. Dans les territoires occupés, la lutte contre l’aliénation se fait principalement par l’appel au droit international.

Les Palestiniens qui n’ont pas été faits réfugiés en 1948 sont maintenant citoyens d’Israël. Leur situation est fondamentalement différente de ceux des territoires occupés. Bien qu’ils soient toujours en possession de leurs terres et de leurs maisons, c’est leur monde qui change. L’aliénation est symbolique : les rues ont été renommées par l’État, le commerce et les communications officielles se font dans une langue étrangère. L’espace y est ségrégué : certaines routes lient principalement ou exclusivement les villes à population juive israélienne, alors que d’autres lient les villes à population palestinienne. Les Palestiniens subissent une discrimination quant aux fonds alloués pour l’éducation et les autres services. Leur bataille en est essentiellement une de droits civils.

Jérusalem est aussi ségréguée. Contrôlée par Israël, ses habitants palestiniens n’en sont toutefois pas citoyens à moins qu’ils fassent une déclaration d’allégeance à l’État. Ils sont sous le joug d’un permis de résidence qui les rend apatrides s’ils le perdent. De même, leur développement résidentiel est une constante bataille : les permis de construction leur sont souvent refusés, les maisons démolies, et les services pour lesquels ils paient des taxes ne leur sont souvent pas délivrés. Leur bataille est sans nom, car elle a si peu sur quoi s’appuyer, sauf peut-être les droits humains.

La diaspora devient étrangère au territoire parce qu’elle peut difficilement le pratiquer, c’est-à-dire qu’une grande partie de la diaspora (au Liban et en Syrie) ne peut se rendre en Palestine. Malgré le fait que d’autres parties de la diaspora soient plus mobiles, il ne faut pas oublier que la relocalisation au sein d’une culture d’accueil depuis plus de 60 ans implique nécessairement une hybridation culturelle qui éloigne les membres de la diaspora de la culture dont ils sont issus.

Aliéné : être étranger au territoire, à soi

Certes, les pratiques d’aliénation telles que l’expropriation et l’annexion, la restriction de mobilité et d’échange, la ségrégation et la domination politique et culturelle sont autant de façons de rendre une population étrangère au territoire qu’elle habite. Mais il semble que de manière plus cruciale, c’est le caractère multiple de l’aliénation qui est le plus aliénant. En effet, chaque mode d’aliénation appelle une stratégie de revendication différente (droits civils, droit international, etc.) et éloigne ainsi la perspective d’une lutte unifiée, menant parfois à une désaffection. En leur donnant officiellement une identité différente (Cisjordaniens, Gazaouis, Jérusalémites, réfugiés et « Arabes israéliens »), Israël aliène le peuple palestinien. Ainsi, il fait disparaître le lien entre ces gens : la Palestine, cet espace qui résiste à son atterrissage.

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