Non mais ça n’a pas d’allure, ça n’a aucune espèce de bon sens, on est gouvernés par des gens qui se foutent carrément de notre gueule, des hypocrites de bas acabit qui nous prennent pour des valises à double fond, de minables petits potentats qui refusent obstinément que la vérité soit connue, des malfrats qui utilisent tous les subterfuges imaginables pour la voiler, la travestir, la déformer, cette vérité, de petites frappes qui se cachent derrière leurs prérogatives et leurs grands airs outrés en invoquant tous les sacro-saints principes d’une démocratie qu’ils s’obstinent à réduire à néant, qu’ils foulent du pied comme s’il s’agissait d’un vieux botch de cigarette, pendant que les magouilleurs de toute sorte s’en donnent à cœur joie, je te graisse la roue de ton parti et tu m’accordes ce juteux contrat, tu me fournis un permis de port d’armes et je m’assure que mes employés souscrivent généreusement à ta caisse, et ça se sourit dans les cocktails à 200 $ la tête de pipe, ça se congratule et ça se félicite, et ça joue les coqs de haute basse-cour, la volaille de haute volée, et je picole et je picore, et un coup de bec par ci et un coup de bec par là, et je serai seul à soumissionner sur telle enveloppe parce que les autres ont convenu d’attendre leur tour, oui, oui, pas de problème, on connaît la game, tout le monde passe Go et tout le monde collecte, et comment va ton beau-frère, toujours dans les affaires, rappelle-lui qu’il y a un peu longtemps qu’on a vu la couleur de son argent à celui-là, ça sent bon, l’argent, j’aime son odeur, et ça ne laisse pas de traces quand c’est bien dissimulé, mais comment il fait, le premier ministre, comment il fait avec son air débonnaire de tête à claques, comment peut-il se tenir droit devant son demi-crucifère (mi-chou), comment peut-il se pavaner devant ses enfants ou ceux des autres, oui mon petit pit, il faut que tu ailles à l’école pour apprendre les vertus de l’honnêteté et de la justice, tu dois devenir un bon citoyen, droit et intègre, mais c’est pas vrai, j’hallucine, René Lévesque doit se morfondre, assis sur son bout de nuage, en contemplant cette turpitude infecte dont il était pourtant certain d’avoir éradiqué jusqu’à la moindre radicelle, mais non, mon cher René, c’est à leur tour, tant qu’il y a de l’homme, il y a de l’hommerie, chassez le naturel et il revient au galop, et toutes ces autres conneries qui nous ramènent toujours en arrière, qui nous ravalent au rang de ces pestiférés de la piastre, chaque ministre doit rapporter 100 000 $ au bercail chaque année, c’est la consigne, mais qui peut être assez retors, assez morbide, assez machiavélique pour penser diriger un faux pays en agissant de la sorte, une province qui n’a jamais autant mérité son titre, des provinciaux, non pas des femmes ou des hommes d’État, mais des femmes et des hommes de tas, de tas de merde qui s’empilent, gluants comme leur rhétorique, de tas de fric qui pourrit tous les étages de l’édifice, et la crapulerie qui s’insinue dans la moindre craque, j’ai honte, j’ai honte, j’ai honte d’appartenir à une collectivité qui tolère ainsi l’intolérable, une société qui n’a pas su se donner les moyens de virer un malotru quand il est manifeste qu’il ment comme un arracheur de dents, une terre de colonisés qui voit ses pouvoirs grugés de jour en jour, la langue française qui ne sera plus dans quelques années qu’un folklore régional, notre représentation à Ottawa (ah ! non, pas ceux-là, je n’aurai pas assez d’espace…), notre représentation à Ottawa, disais-je, qui fond comme le pergélisol ou les banquises de l’Arctique, l’histoire se répète, disions-nous, c’est Bigot, l’ancêtre de tous ces fossoyeurs, en train de saigner la Nouvelle-France pour que les rapaces anglo-saxons n’aient qu’un cadavre exsangue à combattre, c’est Taschereau réduit en miettes par un Duplessis qui, lui aussi, n’attendait que son tour, et la déliquescence, savez-vous ce que c’est que la déliquescence ? c’est la dissolution sociale, un groupe humain qui ne souscrit plus à aucune norme éthique, qui se fout des considérations morales comme de sa propre survie, parce que c’est le chacun-pour-soi, au plus fort la poche, au plus rusé le magot, et quand l’exemple vient d’en haut, bof ! on se dit ce sont tous des crosseurs, pourquoi est-ce que je me forcerais, pourquoi est-ce que je jouerais le petit trouble-fête alors que le party, que l’orgie est pognée à l’étage du dessus, que « ceux qui devraient donner l’exemple » se comportent comme une bande de voyous, nient l’évidence, camouflent la réalité, et jouent les vierges éplorées quand jour après jour, téléjournal après téléjournal, enquête après enquête, les preuves affluent comme le pétrole jaillissant des abysses du golfe du Mexique, quand les témoignages se font de plus en plus nombreux et de plus en plus crédibles, quand toutes les ramures et les ramifications du système nous sont dévoilées, décortiquées, analysées, vérifiées et documentées… affligeant, désâmant, décourageant… bon été tout de même aux « hommes de bonne volonté » (et les femmes alors ?), comme dirait l’autre, le cardinal Machin de Québec, un autre cas… décidément, ça vole haut dans la Capitale nationale, la Capitale vendue ?