Champ libre

Nuls en français… !

Par Mario Bélanger le 2010/05
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Nuls en français… !

Par Mario Bélanger le 2010/05

En manchette, le Journal de Montréal clamait sans retenue, à la mi-mars, que les futurs profs étaient « nuls en français ». À mon avis, c’est là faire bien trop rapidement le procès des étudiants universitaires en éducation.

J’aimerais ajouter ici deux éléments qui démontrent, premièrement, que le français est beaucoup plus difficile à maîtriser que d’autres langues, et que, deuxièmement, les problèmes reliés à la qualité du français ne sont pas uniquement un problème québécois et contemporain.

D’abord, dans son livre Zéro faute (Éditions Mille et une nuits, 2009), François de Closets se fait très critique par rapport à l’orthographe en français. Il affirme même que c’est parfois un instrument de ségrégation.

L’auteur raconte qu’en Suisse, on fait passer un test aux recrues qui veulent entrer dans l’armée. Le test comprend une dictée qui est présentée en trois langues : l’italien, l’allemand et le français. C’est le même texte dans les trois langues, et elle est présentée dans la langue maternelle des recrues. L’orthographe du français est considérée comme difficile, celle de l’italien, plutôt facile (ça s’écrit généralement comme ça se prononce), et celle de l’allemand, entre les deux. Le résultat est très révélateur : les italophones sont 65% à faire de zéro à trois fautes ; les germanophones sont 29 % à faire moins de trois fautes ; et les francophones de la Suisse romane sont 10 % seulement à faire moins de trois fautes. Donc, 90 % font plus que trois fautes !

Cela prouve que le français est beaucoup plus difficile à apprendre, à l’écrit, que l’italien ou l’allemand. Ce n’est pas parce que les francophones sont plus bêtes, en moyenne. C’est parce que le français, une langue sans doute très belle, est truffée de pièges, d’exceptions et de caprices qui ne seront jamais compris par un grand nombre de ses locuteurs.

Les tests de français que passent les étudiants en éducation insistent sur ces bizarreries de syntaxe et de vocabulaire. C’est possible de réussir de tels tests, bien sûr, mais il faut être conscient que ça demande des efforts beaucoup plus grands que dans d’autres langues.

Ensuite, je vous invite à lire un extrait tiré d’un autre livre : « Le français d’aujourd’hui est souvent corrompu. (…) Notre français est assez malade et bien des actions nocives s’exercent sur lui : celle de la conversation courante de plus en plus lâchée, celle de la langue du commerce, si incorrecte et gauche, celle des milieux sportifs qui bousculent le vocabulaire et mettent « knock-out » la grammaire, celle de la radio et du journalisme, celle du monde politique. Notre pauvre français a fort à faire pour résister aux attaques convergentes de tant de microbes. »

Contrairement à ce qu’on peut croire, cette citation n’est pas récente, ni québécoise ! Elle est inscrite dans l’introduction d’un livre de René Georgin, Pour un meilleur français (Éditions André Bonne), qui a été publié en France en 1951.

Tout cet ouvrage portait sur les confusions de sens, les vices de construction, les accords discordants, le mauvais genre de certains mots et l’impureté du français populaire… Et ça vise les Français de France !
Bref, on ne peut demander à des jeunes de 20 ans de tout savoir sur une langue aussi cérémonieuse et coriace que le français. D’ailleurs, la majorité de gens adultes n’ont pas encore réussi à la maîtriser parfaitement. Le français est une langue complexe, qui exige un long apprentissage, oui. Mais de là à affirmer que les étudiants sont « nuls en français », il y a une marge…

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Cycle de rêve, Phär, 2010