Tel a été l’engagement de Michel Chartrand dans les luttes permanentes et courageuses qu’il a menées pour la dignité et la liberté des personnes et des peuples.
Comme les Pierre Falardeau et Hélène Pedneault que nous avons également eu le malheur de perdre récemment, il puisait la puissance de sa pensée et la force de son action dans la farouche indignation que soulevait en lui la moindre injustice. Sur cet aspect des choses, tout a été dit de lui, depuis sa mort. Sans oublier les innombrables témoignages rendus de sa générosité et de sa bonté. J’ai moi-même dans les pages du Devoir fait état de sa sensibilité artistique et de son grand amour de la vie comme source profonde de sa vision du monde et de son désir irrépressible de rendre accessible à tous les humains de la terre ses richesses et ses beautés.
Le droit au travail, à son exercice dans des conditions décentes et à sa juste rémunération étaient pour Michel Chartrand le fondement de la dignité et de la liberté qui, dès lors, pouvait s’épanouir dans l’appropriation de la connaissance et la jouissance de l’art, expressions essentielles de l’existence humaine. Il voulait sans cesse partager l’émerveillement qu’il éprouvait devant toute beauté, naturelle et artistique.
Je veux ici donner un exemple de ce but ultime de son militantisme. Elle concerne un épisode de notre relation. En 1970, nous avons tous deux été emprisonnés à Parthenais en vertu de la Loi sur les mesures guerre, lui au dixième étage de ce lieu de détention, moi au quatrième. Au quinzième ou seizième jour de notre incarcération, tout en demeurant incommunicado, nous avons eu droit à du papier, à un crayon et aux livres. À la fin de cette journée, je recevais du dixième étage, de la part de Michel Chartrand, Kamouraska, le beau roman d’Anne Hébert qui était paru au début de l’automne.
Cette œuvre l’avait bouleversée, lui avait permis de s’évader de sa cellule pour vivre pendant quelques heures en étroite communion avec les personnages d’un univers qui n’était pas le sien. Il a voulu me faire partager son bonheur.
Marx qui n’était pas marxiste aimait tous les arts. Il en était de même pour Michel Chartrand qui ne saurait être réduit à son personnage. Humaniste, son expérience intérieure des hommes acquise au contact de ses œuvres de pensée et d’art était aussi concrète que son expérience sur le terrain de ses travaux quotidiens. Ces expériences indissociables l’une de l’autre façonnaient l’homme, l’homme engagé.
C’est ce qu’ont su comprendre, admirer et aimer les Palestiniens à qui il a rendu visite chez eux, et les exilés chiliens qu’il a accueillis ici.
C’est ce qu’ont su comprendre, admirer et aimer les travailleurs et les travailleuses québécois, qu’ils soient de souche ou venus d’ailleurs.
C’est ce que j’ai pu lire sur leurs visages émus, vendredi dernier, alors que plusieurs centaines d’entre eux ont défilé en silence devant son cercueil, pendant tout l’après-midi.
Leur recueillement témoignait mieux que les discours officiels de la reconnaissance infinie que tous les Québécois et Québécoises doivent à ce grand lutteur qui a combattu sa vie durant pour leur liberté individuelle et collective.
Il nous reste à suivre ton exemple, cher Michel.