Réponse à l’article « Accord sur le commerce intérieur, main basse sur l’alimentation » de David Dupont, paru dans Le Mouton NOIR de janvier-février 2010.
S’il faut en croire l’article publié en manchette dans le dernier Mouton NOIR et signé par le sociologue David Dupont, la souveraineté et la sécurité alimentaire du Québec sont mises en péril par le récent Accord sur le commerce intérieur canadien.
Comme toutes les ententes de libre-échange, il est certain que ce récent Accord comporte un certain nombre de menaces pour les producteurs du Québec, particulièrement dans le domaine de l’agriculture et de l’alimentation. Il ne faut cependant pas être dupe des hauts cris lancés par l’Union des producteurs agricoles (UPA) au prix de dizaines de milliers de $ de publicité. Par cette opération publicitaire démesurée et biaisée, ce que l’UPA a voulu défendre, c’est moins la souveraineté alimentaire du Québec que le monopole absolu de ses agences de commercialisation, menacé par les recommandations du rapport Pronovost bien plus que par l’Accord de commerce intérieur. L’histoire n’est malheureusement pas simple. La souveraineté alimentaire n’a de sens qui si elle permet à chaque communauté territoriale de se nourrir le plus possible à partir des produits agricoles de son territoire. Or au cours des 30 dernières années, le monopole syndical a permis à l’UPA d’implanter dans pratiquement toutes les grandes productions agricoles des agences de commercialisation obligatoires pour tous les producteurs concernés, certaines avec contingentement monnayable des productions (lait, oeufs, volailles et sirop d’érable). C’est grosso modo ce qu’on appelle la gestion de l’offre. Ces agences ont centralisé la production et la mise en marché des produits agricoles au Québec et l’ont orientée vers des produits industriels génériques destinés aux grands marchés intérieurs et extérieurs plutôt qu’aux marchés locaux. Avec la concentration des marchés, il se trouve que ce mécanisme, destiné à l’origine à protéger notre souveraineté alimentaire et la rentabilité des fermes, est devenu plusieurs de cas un obstacle à l’adaptation des fermes aux besoins du marché et à la mise en marché de produits locaux et de produits de plus-value, comme les produits biologiques ou les produits du terroir. À peine le tiers des produits offerts aujourd’hui dans les supermarchés proviennent du Québec et pratiquement aucun des producteurs locaux. C’est un bilan désastreux pour un système qui est supposé être le meilleur au monde et garantir la permanence de fermes à dimension humaine partout sur le territoire !
Tous sont d’accord pour la souveraineté alimentaire et la gestion de l’offre comme protection de nos marchés intérieurs et frein au dumping de produits étrangers à bon marché et de qualité inférieure. Mais pour y parvenir, la gestion de l’offre doit être ajustée aux conditions actuelles des marchés et s’ouvrir aux nouvelles productions et à la mise en marché de proximité, ce qui est impossible tant qu’elle restera un monopole des grands producteurs industriels de l’UPA.
La véritable menace à notre souveraineté alimentaire ne vient pas de l’Accord de commerce intérieur, mais du monopole de l’UPA sur la mise en marché. Il se peut que cet Accord complique l’application de certaines normes québécoises, comme cela s’est produit pour l’harmonisation des normes biologiques (maintenant chose faite). Mais l’UPA ne nous fera pas croire que ses porcs, volailles et bovins nourris au maïs OGM Monsanto et gonflés aux hormones et aux stimulants de croissance sont tellement différents et meilleurs que ceux du reste du Canada ou d’ailleurs. Nivellement par le bas ? Permettez-moi d’en douter. Par contre, nos meilleurs produits sont précisément ceux que les agences de l’UPA continuent à marginaliser et à persécuter au profit des monocultures et des élevages industriels, et au profit d’un club fermé de riches propriétaires de quotas sans relève. En somme, l’UPA nous en a passé une autre bonne (et le signataire de l’article du Mouton NOIR aussi !) En tentant de s’allier divers groupes de citoyens, d’universitaires et de gauchistes simplistes pour la défense de la souveraineté alimentaire, de la gestion de l’offre, de l’occupation et de la protection du territoire agricole, ne nous y trompons pas, c’est d’abord son monopole industriel que l’UPA défend. En ce qui nous concerne tous, c’est l’UPA bien plus que l’Accord sur le commerce intérieur qui a fait main basse sur notre alimentation, ou du moins ce qu’il en reste. Le jour est encore loin où nous verrons l’UPA consacrer autant de ressources pour la mise en oeuvre des recommandations du rapport Pronovost qui seules sont susceptibles de restaurer dans chaque territoire une véritable souveraineté alimentaire. Comme citoyens, c’est pour cette réforme qu’il faut se battre, non pour les croisades tordues de l’UPA.
« Pas de nourriture sans agriculture », oui, mais quelle agriculture ? La souveraineté alimentaire est un défi et un projet pour chacun de nos territoires et chacune de nos communautés. Mais le premier obstacle à faire tomber, c’est le système fermé et rigide que l’UPA a érigé autour des agriculteurs et de l’agriculture.
À lire :
Accord sur le commerce intérieur : Main basse sur l’alimentation
David Dupont, janvier-février 2010