Môman travaille pas, a trop d’ouvrage… Il est de ces titres qu’on aimerait parfois avoir écrits soi-même.
La double journée de travail, tant dénoncée depuis quelques décennies, a toujours été le lot des femmes, à tout le moins de celles des milieux modestes, urbains ou ruraux. Responsables des enfants, de la maison et, pendant longtemps, chargées de produire plusieurs biens essentiels à la survie des familles, les femmes ont toujours travaillé.
ÉPOUSE ET MÈRE…
Au Québec, comme ailleurs dans le monde, la fonction sociale traditionnelle des femmes est la maternité. Cette dernière devant, bien entendu, advenir dans le cadre du mariage. Après la célébration, le premier enfant ne tardait généralement pas ; les suivants non plus. Se préparer à l’arrivée des enfants n’est pas une mince tâche : il faut confectionner la layette, fabriquer des piqués en imperméabilisant des toiles avec de l’huile de lin, découper les langes, coudre la robe de baptême – à moins que celle-ci ne soit héritée de la famille.
La baisse de la natalité qui se remarque dès le début du XXe siècle n’entraînera pas nécessairement une diminution de la charge de travail des mères. Bien que les enfants soient moins nombreux, les soins dévolus à chacun augmentent sous l’inf luence des médecins, infirmières, hygiénistes et psychologues qui se relaient à la radio, dans les journaux ou dans les cliniques de puériculture pour donner des conseils aux mères.
CUIRE LE PAIN ET TORDRE LA CATALOGNE
Responsables de nourrir la famille, de l’habiller, de s’assurer de la salubrité de la maison, de gérer le budget familial, les femmes doivent faire preuve de compétences variées. L’entretien ménager est pénible : le chauffage et la cuisson au bois ou au charbon encrassent la maison durant l’hiver. Le ménage du printemps n’est pas un luxe… L’arrivée de l’électricité ne marque pas une pause pour autant : les publicitaires se chargent de hausser les standards de propreté afin de vendre leurs nouveaux produits. Ce sera à qui utilisera le bon détergent pour la salle de bain, les miroirs ou les planchers.
Le même scénario se répète pour les corvées de lavage. Avant l’arrivée de l’eau courante, la seule perspective de laver la literie et les vêtements de la maisonnée était suffisante pour en décourager plus d’une : aller chercher l’eau, la faire bouillir, laver le linge, l’essorer, l’étendre… Tordre la catalogne sera moins ardu physiquement avec l’avènement de la laveuse automatique, mais il faudra s’y astreindre beaucoup plus souvent.
La tâche quotidienne la plus prenante pour les femmes demeure celle de nourrir la famille. Les tablées de 10 à 12 personnes ne sont pas inhabituelles. En conséquence, les plats sont nourrissants, mais rudimentaires : soupe aux pois ou au chou, ragoûts. Plats auxquels s’ajoute pendant longtemps une portion généreuse de pain de ménage. Les fournées hebdomadaires pouvaient nécessiter à elles seules une journée complète de labeur. Entretenir le potager, élever les poules, traire les vaches, transformer les produits ainsi obtenus pour « passer l’hiver », toutes ces tâches ne laissent aucun répit. Pas surprenant que les premiers biens transformés à s’immiscer dans le quotidien des familles aient souvent été associés à l’alimentation.
DES PRODUCTIONS PARFOIS OUBLIÉES
À ces tâches habituelles de reproduction familiale s’ajoutent des tâches de production. Ces dernières sont souvent oubliées, car ce sont elles qui ont été transférées dans les usines avec l’industrialisation à partir du milieu du XIXe siècle. Auparavant, les femmes – en compagnie de leurs enfants – participaient d’emblée à la production économique, particulièrement dans un contexte de petites productions agricoles ou artisanales.
Faire le beurre, lever les oeufs et vendre le surplus au marché sont autant d’apports essentiels au revenu familial. Au fur et à mesure que les marchés régionaux et nationaux se développeront, les petites productions féminines locales déclineront : les grossistes ne veulent pas s’approvisionner auprès d’une entreprise familiale qui ne peut leur fournir que quelques livres de beurre par semaine.
Manger ne suffit pas. Il faut s’éclairer, se laver, s’habiller. Les femmes produisent donc chandelles, savons, textiles, vêtements. Autant de techniques à maîtriser, autant d’expertises à développer. Une courtepointe n’est pas qu’une couverture destinée à garder au chaud ; nous avons tous une tante ou une grand-mère pour qui la confection d’une courtepointe était une façon de voir reconnu son sens esthétique et son talent.
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Avec l’industrialisation, la maisonnée passe de lieu de production à un lieu de consommation. De productrice, la ménagère est devenue une consommatrice. Cette perte de statut – et de reconnaissance – explique en partie les luttes menées par les femmes depuis un siècle pour accéder au marché du travail et pour faire reconnaître le maternage et l’entretien ménager comme travail à part entière. Cette lutte gagnée – un jour peut-être –, les hommes seront-ils encore plus nombreux à accepter de partager les tâches domestiques ?
Quelques lectures pour poursuivre la réflexion :
– Denyse Baillargeon, Un Québec en mal d’enfants. La médicalisation de la maternité, 1910-1970, Montréal, Éditions du remue-ménage, 2004.
– Denyse Baillargeon, Ménagères au temps de la crise, Montréal, Éditions du remue-ménage, 1991.
– Collectif Clio, Histoire des femmes au Québec
depuis quatre siècles, Édition entièrement revue et remise à jour, Montréal, Le Jour, 1992 (1982).
– Denise Lemieux et Lucie Mercier, Les femmes au tournant du siècle, 1880-1940 : âges de la vie, maternité et quotidien, Québec, IQRC, 1989.