Qui peut être contre la vertu? Augmenter les tarifs d’électricité permettrait non seulement de réduire le déficit prévu pendant cette période économique particulière, mais serait équitable au niveau social et ferait la promotion de l’efficacité énergétique. C’est ce que le gouvernement et certains commentateurs économiques nous disent. Toutefois, l’Institut de recherche et d’information socio-économique (IRIS) a publié récemment une note1 qui remet en question ces affirmations. Nous nous sommes attardés à trois mythes : la vente à rabais de l’électricité au Québec, la progressivité de l’augmentation du bloc patrimonial pour les ménages et la promotion de l’efficacité énergétique par les tarifs.
Commençons par un petit historique d’Hydro-Québec. Fort d’un potentiel hydroélectrique très intéressant, le Québec a fait le choix de nationaliser le secteur électrique et de vendre aux Québécois à un tarif avantageux, puisqu’il s’agit d’une richesse collective. À la fin du siècle dernier, Hydro-Québec a été divisée en trois : Production, Transport et Distribution. Le bloc patrimonial, produit par la division Production et vendu à Distribution, a ensuite été instauré pour garantir que l’électricité destinée aux Québécois, principalement produite par les barrages, continue à être vendue à un prix abordable. Ainsi, Hydro-Québec Production réserve 165 TWh pour le marché du Québec à 2,79 ¢/kWh. Alors que les besoins additionnels d’Hydro-Québec Distribution sont comblés par des appels d’offres, Hydro-Québec Production vend le post-patrimonial sur les marchés internationaux.
Selon le rapport annuel d’Hydro-Québec de 2008, la division Production a fait un bénéfice net de un milliard de dollars pour les ventes au Québec. La vente du bloc patrimonial se fait donc à profit, son coût de production étant en moyenne de 2,2 ¢/kWh.
Le bloc patrimonial n’est qu’une des composantes du prix du kWh vendu au Québec. Pour le résidentiel, les 30 premiers kWh quotidiens sont chargés au tarif du premier palier, 5,45 ¢, et la balance, au deuxième, 7,46 ¢. C’est à ces tarifs qu’il faut comparer notre capacité de vendre sur les marchés internationaux. Par ailleurs, le prix du marché de l’électricité est très volatile. Il varie selon la demande énergétique et les besoins, selon la saison, la période de la journée, etc. Durant les quelques moments très rentables, Hydro-Québec vend déjà au maximum de sa capacité. Hors pointe, le prix offert n’est pas nécessairement avantageux; vendre à tout prix pourrait vouloir dire vendre à perte. Dans le cas de Bécancour, Hydro-Québec préfère compenser financièrement TransCanada Energy plutôt que de produire de l’électricité supplémentaire. L’augmentation de l’exportation ne se traduirait donc pas nécessairement par une rentabilité accrue.
Qu’en est-il de l’équité sociale d’une hausse de tarifs? À écouter le gouvernement, l’augmentation du bloc patrimonial permet une hausse de ses revenus de 1,5 milliard de dollars, dont la majeure partie serait assumée par les plus riches. Pourtant, il suffit de regarder la proportion du budget des ménages qui est associée à l’électricité pour voir qu’il s’agit là d’un tarif régressif. De plus, si on augmente de 1 ¢ le bloc patrimonial, la hausse sera plus marquée pour le premier palier (de 5,45 à 6,45 ¢, hausse de 18 %) que pour le deuxième (de 7,46 à 8,46 ¢, hausse de 13 %), ce qui accentuerait donc la charge sur les plus petits consommateurs. Le taux d’effort supplémentaire qui serait demandé aux ménages les plus pauvres et de la classe moyenne serait de deux à trois fois supérieur à celui demandé aux ménages les plus aisés.
Reste la question environnementale. Il peut sembler logique pour certains qu’une augmentation du prix de l’électricité mène à une réduction de la consommation. Cependant, plusieurs études démontrent qu’il n’y a pas une grande correspondance entre les deux. L’électricité comble plusieurs besoins essentiels qui ne sont pas compressibles. Malgré une hausse de facture, il faudra continuer de s’éclairer, de se chauffer, de faire la cuisine, etc. En fait, la consommation la plus facile à réduire est la consommation de luxe, celle des ménages plus aisés qui ont les moyens de la réduire. Dans notre note, l’IRIS évalue la possibilité de réviser l’ensemble de la structure tarifaire, en diminuant le prix du premier palier et en augmentant celui du deuxième. Appliquée à la consommation actuelle, il en résulterait une diminution des factures des ménages des deux premiers quintiles et une hausse pour les deux derniers. Quant à la facture du troisième quintile, elle resterait stable. Cette mesure permet de récompenser les ménages qui consomment moins et d’utiliser une stratégie incitative plutôt que punitive visant la réduction de la consommation énergétique.
Bien que l’augmentation de tarifs du bloc patrimonial soit présentée comme une mesure juste et vertueuse, la réalité est tout autre. Il ne faut pas s’y laisser prendre.
Notes :
1. La note est disponible en ligne sur le site de l’IRIS : www.iris-recherche.qc.ca.
* L’auteure est chercheur à l’IRIS