Il y a vingt ans, la chute du mur de Berlin était célébrée dans l’euphorie : réunification de l’Allemagne, fin de l’empire soviétique, fin de la guerre froide. Un vent de liberté, croyait-on, soufflait vers l’Est. Nous n’avions pas alors mesuré ce que la rupture d’un équilibre en tension, communisme/capitalisme, allait générer comme problèmes : la guerre dans les Balkans, la plus meurtrière depuis la Deuxième Guerre mondiale, et un capitalisme qui, n’ayant plus de frein, deviendra sauvage. En effet, pendant des années, plus une grande société, une multinationale « se restructurait, se rationalisait » (entendre : virait des travailleurs), plus elle voyait ses cours en bourse grimper. Nous n’avions pas saisi que « la menace du communisme » avait en quelque sorte protégé les travailleurs de l’Ouest.
La quête de profits de plus en plus grands, l’avidité systémique, année après année, avec l’invention de produits financiers de plus en plus virtuels, ont opéré une transformation de l’économie. Le résultat : la crise de 2008. Est-ce qu’il faut voir aujourd’hui la fin de l’impérialisme communiste comme la bougie d’allumage de l’autodestruction d’un certain capitalisme? Ça dépendra de nous.
Au Québec, le 6 décembre 1989, un jeune homme abat froidement 14 étudiantes de la Polytechnique, en blesse de nombreuses autres, dans leur corps et dans leur âme.« J’haïs les féministes », a-t-il dit avant de tirer. Dans sa lettre de suicide, il dresse une liste de féministes qu’il regrette ne pas avoir eu le temps d’éliminer…
État de choc à la Polytechnique. Quand on sait que les filles à Poly, moins nombreuses, ont eu le soutien de collègues masculins pour qu’on les reconnaisse avec toutes leurs compétences. Quand on sait que les étudiants sont allés jusqu’à établir un tableau des naissances pour que l’on comprenne qu’il n’y avait pas que les filles qui avaient des enfants et que, même, certains étudiants-pères visitaient leurs installations de labo avec au dos, dans un porte-bébé, leur enfant, on comprend que la blessure a été profonde pour tous.
État de choc dans la cité. Il y avait celles qui avaient lutté, pour qui ce carnage montrait que rien n’était acquis; il y avait celles qui n’avaient jamais eu à lutter et pour qui un monde de certitudes venait d’être ébranlé. Et il y avait les hommes qui les aimaient. Pourtant.
Toute Québécoise ayant vécu à l’étranger, ou ayant voyagé le moindrement, sait qu’il n’y a guère de pays au monde où il est plus facile de naître femme qu’au Québec. Le féminisme au Québec est différent de celui de la France et des États-Unis, c’est un féminisme pragmatique, dans l’action. Par naïveté, on peut croire que cela vient des longues années où, comme peuple conquis, on s’est retiré dans les terres et qu’hommes et femmes ont alors établi un pacte de survivance. Parce que la ferme nourrissait mal, l’homme partait bûcher, pour un boss, pendant que la femme gérait la ferme et la ribambelle d’enfants. Naïveté ou sens de l’histoire? Michel Tremblay croit que ce sont les femmes qui ont inventé le joual, langue urbaine, en francisant tout ce que leur homme ramenait de la shop.
Il y en a pour dire qu’il ne s’agit que d’un tireur fou, un cas isolé. Qu’il n’y a rien à commémorer. Toutefois, lorsque ce tireur fou fait des émules, sur Internet, dans des sites où il est vu comme un héros, on espère tout de même qu’il n’y ait pas trop de fous.
Chose certaine, même si elle a diminué, la violence faite aux femmes subsiste et trop de nos garçons sont malheureux à l’école.
Le fin mot revient à cette victime qui, d’un cri du cœur, avait lancé : « nous ne sommes pas féministes » et qui, aujourd’hui, déclare simplement que lorsqu’il y aura autant d’hommes que de femmes féministes, il n’y aura plus de problème.
Il y a de plus en plus d’enfants au Québec qui naissent d’un même désir, d’un désir égal entre un homme et une femme également engagés dans une relation parentale. Souhaitons qu’il y en ait de plus en plus. Car de grands défis les attendent.
Quand les hommes vivront d’amour…