Société

Trans_parence

Par Stéphane Lahoud le 2009/11
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Trans_parence

Par Stéphane Lahoud le 2009/11

La réalité des trans est très peu documentée. Quelques sorties publiques d’individus nous permettent heureusement d’en apprendre davantage. Fait étonnant, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclare toujours que le transsexualisme est une maladie mentale. Roxane C. a 36 ans et vit à Rimouski. Le Mouton NOIR vous présente cette rencontre avec un transgenre où l’on aborde moult sujets, dont la marge à l’intérieur de la marge.

Stéphane Lahoud – Tout d’abord, quelles sont les différences entre un travesti, un transgenre et un transsexuel?

Roxane C. – Le travestisme désigne une personne qui aime se vêtir en femme, mais qui ne se sent pas « l’âme » féminine. Conséquemment, les travestis ne renient pas nécessairement leur masculinité. Aussi, pour certains, c’est de l’ordre du fantasme sexuel, c’est-à-dire par l’érotisme des vêtements féminins. Par exemple, le port de bas nylon excite certains hommes… D’autre part, certaines personnes commencent travesties pour s’apercevoir avec le temps qu’elles sont finalement transgenres.

Ensuite, le terme transgenre est une dénomination encore toute récente, dont la plupart des gens ne connaissent toujours pas la signification. Cela veut tout simplement dire être né dans le mauvais sexe. Généralement, les transgenres vivent dans leur corps d’origine, mais en adoptant les mœurs de l’autre sexe. Au fond d’elle-même, cette personne est une femme à part entière en ayant « l’âme » de l’autre sexe. C’est pourquoi bon nombre de transgenres vont vivre « l’autre sexe » dans la société, voire dans leur quotidien. Cette désignation a été créée afin de marquer un passage, car transgenre ne veut pas dire être travesti ou encore transsexuel.

Enfin, transsexuel désigne une personne qui a subi cliniquement toutes les interventions physiques pour changer de sexe, ou encore qui a été diagnostiquée professionnellement comme étant du sexe opposé, féminin ou masculin selon le cas. Elle peut alors entreprendre des démarches telles que la prise d’hormones et la chirurgie – dont la vaginoplastie1 ou la phalloplastie2. Un transsexuel peut garder son appareil sexuel d’origine, mais il s’expose à vivre des problèmes érectiles résultant de la prise d’hormones.

S. L. – Ça fait longtemps que tu as découvert cette autre identité de genre en toi?

R. C. – Inconsciemment, depuis l’âge de 8 ans. À l’adolescence, j’ai fait mes premières véritables expériences, mais encore là, c’était difficile à analyser. À cette époque, Internet n’existait pas pour s’informer à ce propos, donc si tu provenais de l’extérieur des grands centres urbains, tu te sentais carrément isolé et exclu. C’est ma vie d’adulte qui m’a enfin permis de comprendre. Depuis deux ans, je dirais que ça vient me chercher beaucoup plus qu’avant. Je ne compte plus les fois où j’ai entendu les regrets de certains transgenres ayant attendu la cinquantaine pour sortir. En somme, c’est à nous de répondre à ce que notre entité réclame, c’est-à-dire : « Qui suis-je vraiment? » Pour l’instant, je me contente de suivre mes objectifs.

S. L. – Comment vis-tu cela?

R. C. – Ces deux dernières années ont été très difficiles. Je me suis alors renfermée sur moi-même, ne voulant plus voir personne et je déprimais solide… Quand j’ai finalement rencontré des gens comme moi, ainsi que des femmes biologiques nous admirant pour notre courage, je leur ai posé de nombreuses questions. J’éprouvais un manque de concordance entre mon monde intérieur et extérieur. Inlassablement, je me demandais à en devenir folle comment arriver à mieux harmoniser ces deux aspects de ma réalité et à cesser de me questionner autant. J’avais simplement besoin de sortir la théorie et de passer à la pratique. Prenant de l’assurance partout où j’allais, c’est en revenant à Rimouski que j’ai réalisé qui j’étais réellement. Ça a eu un effet très positif… Dès lors, j’ai repris goût à la vie.

S. L. – As-tu eu des modèles positifs? Si oui, lesquels?

R. C. – Présentement, je pense surtout à Michelle Blanc ou encore à Russel Bouchard, l’historien de l’Université du Québec à Chicoutimi qui a fait son coming out en 2007 comme transgenre. Ces deux personnes sont respectées dans leur milieu et sont même des sommités! Bref, elles ont eu le courage de foncer au nom de leur véritable identité.

S. L. – Ici, dans ta région, as-tu eu des modèles?

R. C. – Non, mon seul modèle c’est… moi.

S. L. – Que penses-tu de l’enseignant en Alberta qui s’est fait congédier par le Conseil scolaire catholique à l’annonce de sa transidentité?

R. C. – Il faut dire qu’une plainte pour discrimination a été déposée par le syndicat de l’enseignant à la Commission des droits de la personne de l’Alberta. Jan Buterman, la victime, a déjà mentionné dans une entrevue qu’il ne travaillait pas pour une église, mais plutôt pour un conseil scolaire financé par le gouvernement. Quant à moi, je préfère me taire pour ne pas m’attirer les foudres de ceux et celles qui ont les écrits de la Bible à cœur.

S. L. – À quel stade te situes-tu par rapport à ta transidentité? Veux-tu subir une chirurgie, ou te limiter à la prise d’hormones?

R. C. – Présentement, je suis bien avec l’identité transgenre. Je suis plutôt en mode « sensibilisation », tant auprès de mon entourage qu’auprès des gens de la région. Qu’ils ou elles l’acceptent ou non, ça m’est égal.

S. L. – Aimerais-tu te présenter à ton travail en tant que Roxane?

R. C. – C’est certain que j’aimerais ça. Ça me libèrerait d’un poids énorme! Il faut tâter le terrain au préalable et préparer les autres à cette éventualité. C’est à suivre…

S. L. – As-tu déjà pensé à aller vivre dans une grande ville?

R. C. – Oui, malgré le fait qu’un attachement à la région du Bas-Saint-Laurent me garde encore ici. Si ça ne fonctionne pas, j’irai voir ailleurs tout simplement. Mais ce ne sera pas par faute de ne pas avoir essayé. Pour l’instant, je n’ai pas à me plaindre. Ça fait quelques fois que je sors et personne ne m’a vertement critiquée.

S. L. – Es-tu féministe? Si oui, comment le définirais-tu?

R. C. – Oui. Je pense notamment à Simone de Beauvoir (« on ne nait pas femme, on le devient » une citation pleine de sens) et à Micheline Dumont au Québec. Hélas, le féminisme a perdu beaucoup de plumes depuis les grandes revendications des années 60-70.

Je suis consciente de ce que représente être une femme en société. Le marché du travail représente un défi de tous les jours… Pour ma part, je sais que ça sera encore plus difficile et qu’il va falloir que je me démène pour le démontrer tant aux hommes qu’aux femmes. Je ne suis pas une femme par plaisir… Ce n’est pas accessoire! Je vis les mêmes combats que les femmes, sinon plus!

S. L. – Penses-tu que les maisons des femmes pourraient accueillir des trans?

R. C. – C’est une question très large. Il faut d’abord se questionner sur le comment une femme biologique victime d’abus et de violence se sentirait en présence d’un transgenre ou d’une transsexuelle. Je ne pense pas qu’il faille exclure les trans de ce genre de service, mais une étude des dossiers cas par cas serait souhaitable.

S. L. – Quelle est ta perception de la communauté gaie par rapport à la communauté transsexuelle? Y a t-il une forme de solidarité?

R. C. – Ce qui est étrange, c’est que tout ce beau monde lutte indépendamment pour la même chose; être accepté pour ce qu’ils sont. Bref, il n’y a toujours pas de convergence véritable des luttes entre les gais/lesbiennes et la communauté trans. Il existe entre eux une méconnaissance, une méfiance et du mépris des réalités de chacun et de chacune.

S. L. – Dans les années 70, les femmes ont brûlé leur soutien-gorge et ont commencé à porter le pantalon… Est-ce envisageable un mouvement similaire pour les hommes et le port de la jupe?

R. C. – (Rires) Non je ne crois pas, même s’il existe depuis des lustres le kilt écossais porté généralement par les hommes. On vit encore dans une société patriarcale. L’homme, aussi bien en Occident qu’en Orient, représente encore le modèle dominant. Donc, pourquoi l’homme voudrait porter des tenues du « sexe faible »? Socialement, ça ne passerait pas, ou du moins, on se poserait beaucoup de questions.

S. L. – L’OMS et le DMS 4 (le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) des E-U, manuel de psychiatrie qui sert de référence partout dans le monde, classe le « transsexualisme » (ou transidentité) comme maladie mentale. La France l’a retiré de sa liste. Penses-tu que d’autres pays emboîteront le pas dans les prochaines années?

R. C. – Je m’attends à ce qu’un jour le Québec emboîte le pas. Par ailleurs, je suis contre le fait qu’on traite le transsexualisme comme étant une maladie mentale! Néanmoins, je trouve important qu’un spécialiste pose un diagnostic clair avant qu’une personne commence sa transition vers l’autre sexe, car ce n’est pas rien. Un suivi médical est donc nécessaire.

S. L. – Quels sont les défis les plus importants à l’heure actuelle pour la communauté trans?

R. C. – Au moins parler le même langage! Il faudra dans le futur une mobilisation populaire, plus d’unité dans notre communauté, ce qui n’existe pas à l’heure actuelle.

Vous pouvez contacter Roxane C. à l’adresse suivante : rox_tgriki@live.ca

Notes :

1. Opération qui consiste, à partir d’un pénis et de ses terminaisons nerveuses, à construire un néo-vagin et un néo-clitoris innervé, permettant l’orgasme.

2. Opération de chirurgie plastique visant la fabrication d’un phallus.

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