Champ libre

Paul-Émile Saulnier, un parcours en clair-obscur

Par Annie Landreville le 2009/11
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Paul-Émile Saulnier, un parcours en clair-obscur

Par Annie Landreville le 2009/11

Paul-Émile Saulnier le professeur vient de prendre sa retraite après 35 ans au département d’Arts plastiques du Cégep de Rimouski. Paul-Émile Saulnier l’écrivain publie cet automne un deuxième recueil d’une poésie qui complète et prolonge son œuvre en arts visuels, pour laquelle il a remporté le Prix à la création du Conseil des arts et lettres du Québec (CALQ) en 2002.

Deux grands thèmes traversent l’œuvre de l’artiste, qui est membre de l’Académie royale des arts du Canada : la Deuxième Guerre mondiale et le sens que nous donnons aux objets. Deux thèmes qu’il travaille avec une constance fascinante, deux thèmes qu’il creuse sans relâche, prolongement de ses souvenirs d’enfance et expression d’une sensibilité particulière aux exactions de la guerre et aux injustices sociales. Paul-Émile Saulnier a grandi en Acadie, dans un milieu ouvrier, et les souvenirs des vétérans sont à l’origine de son questionnement sur la guerre, de son intérêt pour l’histoire, et de la création d’une œuvre cohérente et dense, chargée de symboles.

C’est d’ailleurs dans les manuels d’histoire qu’il a découvert l’art. Lui qui ne se trouvait pas très bon en français et n’avait aucune envie d’aller du côté des études commerciales se retrouve donc à l’École des Arts appliqués de Montréal au milieu des années 1960. Réalisant qu’il aurait plutôt dû se diriger vers l’École des beaux-arts, il profite de la création des réseaux des cégeps et de l’Université du Québec pour corriger sa méprise et termine ses études à l’UQAM avec un baccalauréat en arts plastiques, option peinture. Aujourd’hui, ce sont les tableaux de sa conjointe qui ornent les murs de sa maison, un lieu qu’il a conçu et construit de ses mains, tout aussi coloré et chaleureux que ses installations peuvent être sombres et lourdes de sens.

Il raconte que dans ses cours de peinture, il collait des histoires, des narrations aux oeuvres qu’il créait, avec le souci de bien faire comprendre la douleur qu’il voulait illustrer. Un professeur l’a ramené à l’essence première de ses émotions, en lui demandant de laisser parler ses œuvres. Il confesse être demeuré hanté par le souci d’exprimer dans son art la douleur, se considère « un peu grognon » et laisse, au fil des mots, l’impression d’une grande sensibilité dont les aspects plus noirs s’expriment dans la création, réservant aux gens qu’il aime un côté plus lumineux.

L’œuvre de l’artiste est sombre, noire, « la couleur du charbon », commente-t-il. Sombre, mais quand même pas déprimante. Le travail qu’il effectue avec les objets, le ready made, se révèle plus ludique. Paul-Émile Saulnier aime jouer avec les objets. Il joue d’ailleurs avec ses propres œuvres. Il me montre des sculptures, explique comment, en changeant la disposition des objets les uns par rapport aux autres, il en transforme le sens, raconte l’histoire d’un autre point de vue. Et comme l’idée de raconter ne l’a jamais vraiment quitté, il a profité de la perte de son atelier, autrefois situé aux Ateliers Saint-Louis, pour écrire un premier recueil de poésie. Des textes où les mots sont agencés comme les objets qu’il installe dans ses expositions. Des mots à l’encre noire mis en scène sur la page blanche. Son premier titre, Petits paquets de nuit, référait à ses petits paquets de journaux pliés, attachés, noircis, qu’on a vus dans ses installations. Ses petits paquets – des centaines, des milliers, il n’en tient pas le compte exact – sont maintenant bien rangés dans des dizaines de bacs. Et comme si la nuit faisait tranquillement place à la lumière, peut-être celle du fleuve auprès duquel il vit maintenant, son deuxième recueil s’intitule La Valse des ombres.

N’a-t-il jamais eu de regrets ou de tiraillements, à l’instar de plusieurs artistes « obligés » d’enseigner au détriment de leur création? Il s’enflamme à dire à quel point ces deux pratiques se sont nourries l’une de l’autre. Il vient tout juste de prendre sa retraite et admet que ce n’est pas par choix. Quand il parle de l’enseignement et de ses élèves, c’est au présent qu’il le fait, avant de se corriger, ému, et de reprendre sa phrase à l’imparfait. Il a été, au début des années 1970, de ceux qui ont mis en place les programmes d’enseignement des arts plastiques dans le réseau collégial et il en est très fier. Il a défendu l’idée de la nécessité d’embaucher des artistes pour enseigner en art afin que les étudiants soient rapidement en contact avec la réalité de ce milieu. Et ces dernières années, ce sont des cours d’histoire de l’art qu’il a donnés. La boucle est bouclée : celui qui est venu à l’art par l’histoire est retourné à l’histoire par le chemin des arts.

À lire :

Petits paquets de nuit, Éditions des Presses pédagogiques de l’Est du Québec

La valse des ombres, Éditions des Presses pédagogiques de l’Est du Québec

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