
mais donne la main à toutes les rencontres, pays
ô toi qui apparais
par tous les chemins défoncés de ton histoire
aux hommes debout dans l’horizon de la justice
qui te saluent
salut à toi territoire de ma poésie
salut les hommes des pères de l’aventure
Gaston Miron
La nouvelle est tombée. Déchirante. Quelques maudites secondes maudites. L’éternité. Dévoré par le vide. Déjà. Le temps nous a manqué. Pierre Falardeau nous a quittés. Je le savais malade. Mais ce n’est pas une raison. Plus jamais sa voix. Plus jamais son sourire. Je suis rentré à la maison. Pour ne pas rester seul. Affolé par tout le silence des bruits ambiants. Les insignifiances de notre petite vie. Je me suis réfugié dans les yeux de ma blonde. Et nous avons pleuré. Nous pleurons encore parfois. Comme si nous avions perdu un ami cher. Quelqu’un de la famille.
Et puis relever la tête et reprendre le collier. Se botter le cul ciboire, parce qu’il y a encore beaucoup de travail à faire. Et demeurent toujours ses films. Toujours ses textes. Cette parole unique. Cette langue universelle. Prendre le temps de mesurer l’ampleur de ses traces de géant et de toute l’humilité de l’être humain qui m’a tant touché à chacune de nos rencontres.
Je nous revois encore au milieu des années 90. Avec Marc, Tommy, Carole et quelques autres. Nous avions formé, ici à Rimouski, comme un peu partout au Québec, un comité 15 février 1839 afin de participer au financement populaire du film que Falardeau souhaitait réaliser à partir du testament politique de Chevalier de Lorimier, ce patriote pendu par le pouvoir anglais avec quatre de ses camarades. Une fois de plus, il était aux prises avec les organismes subventionnaires qui refusaient de financer un projet jugé trop politique. Après la saga politico-burlesque fomentée au début des années 90 autour du film Octobre par quelques fédéralistes désespérés, il n’était pas question de laisser la censure faire son œuvre. Nous avions donc organisé une soirée spéciale afin de projeter quelques-uns de ses films, d’amasser un peu d’argent et surtout de dénoncer l’injustice de la situation.
Celles et ceux qui étaient présents se rappellent encore de cette soirée à la librairie L’Index. Pierre était là, mêlé à la foule, simplement. La salle bondée découvrait avec admiration son documentaire Le steak sur le boxeur Gaétan Hart. Ce film d’une tendresse infinie, coréalisé en 1992 avec sa conjointe Manon Leriche, révélait un cinéaste sensible, respectueux, capable de saisir la force et les faiblesses d’un homme au parcours fascinant. Puis ce fût le film coup de poing, Le temps des bouffons. Une charge de 15 minutes pourfendant le régime colonialiste anglais. Un pamphlet d’une efficacité redoutable, tourné en 1985, mais monté et diffusé en 1993. Une œuvre libératrice. La foule jubilait. Enfin quelqu’un disait tout haut la rage depuis trop longtemps étouffée. Pierre souriait. Libre.
L’amour du Québec
Bien des années se sont écoulées depuis cette soirée mémorable. Nous nous sommes revus par la suite à quelques occasions. Lors de manifestations indépendantistes. Au lancement de certains de ses livres. Lors d’activités politiques organisées à la mémoire des patriotes de 37-38.
Et encore le printemps dernier. Il est venu au cégep afin de rencontrer mes étudiants en cinéma et de leur présenter 15 février 1839. Toujours aussi passionné. Intraitable. Il nous a parlé de son nouveau projet de scénario portant sur l’histoire d’un régiment de soldats québécois coincé dans les tranchées lors de la Première Guerre mondiale. Juste à l’écouter décrire certains passages, les images prenaient forme dans nos têtes. Nous espérions.
Puis il nous a redit son amour viscéral du Québec, de son peuple, de sa langue, de ce territoire immense qu’il a parcouru d’un bout à l’autre. Parler avec passion de Gaston Miron, de l’œuvre des cinéastes Pierre Perrault, Gilles Groulx, Arthur Lamothe, Bernard Gosselin, ses maîtres à penser le cinéma.
Mes étudiants sont repartis en petits groupes, secoués mais heureux d’avoir vu, d’avoir entendu cette voix unique. Lui, souriant, a repris la route. Seul. Je suis rentré à la maison, fier de ce que nous sommes.
Depuis son départ, en septembre dernier, des centaines de voix s’élèvent de partout au Québec pour saluer l’homme, pour souligner l’œuvre. Nous sommes toutes et tous encore secoués par le départ trop rapide de ce grand patriote, ce cinéaste d’exception. Mais nous sommes plus forts de l’avoir connu, rassurés d’avoir fréquenté son oeuvre, plus solides de l’avoir lu. Cet homme intègre et généreux, ce grand monsieur dirait mon père, a énormément contribué à la prise de conscience d’un grand nombre de Québécoises et de Québécois que rien n’est plus précieux que la liberté et l’indépendance. À jamais, Pierre Falardeau!
Filmographie
Continuons le combat (1971)
À mort (1972)
Les canadiens sont là (1973)
Le magra (1975)
À force de courage (1977)
Pea soup (1978)
Speak white (1980)
Elvis Gratton (1985)
Le party (1989)
Le steak (1992)
Le temps des bouffons (1993)
Octobre (1994)
Miracle à Memphis Elvis Gratton II (1999)
15 février 1839 (2000)
Elvis Gratton xxx (2004)
Bibliographie
Octobre, scénario, Éditions Stanké, 1994
Le temps des bouffons, collectif, Les intouchables, 1994
Cinq intellectuels sur la place publique, collectif, Liber, 1995
Je me souverain, collectif, Les intouchables, 1995
Trente lettres pour un Oui, collectif, Éditions Stanké, 1995
La liberté n’est pas une marque de yogourt, Éditions Stanké, 1995
15 février 1839, scénario, Éditions Stanké, 1996
Les bœufs sont lents mais la terre est patiente, VLB éditeur, 1999
Elvis Gratton I, scénario, Éditions Stanké, 1999
Elvis Gratton II, scénario, Éditions Stanké,1999
Pierre Falardeau persiste et filme, entretiens de Mireille Lafrance, Éditions de l’Hexagone, 1999
Le party, scénario, Éditions Stanké, 2001
Paroles de québécois, collectif, Éditions du Québécois, 2003
Québec libre! Entretiens politiques avec Pierre Falardeau, Pierre-Luc Bégin, Éditions du Québécois, 2004
Voles de ses propres ailes, collectif, Éditions du Québécois, 2005
Rien n’est plus précieux que la liberté et l’indépendance, VLB éditeur, 2009