Actualité

Bonus d’occupation

Par Catherine Berger le 2009/11
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Bonus d’occupation

Par Catherine Berger le 2009/11

Le 17 mars dernier, à Matane, se tenait une consultation sur le projet de loi C-288 portant sur le crédit d’impôt pour les nouveaux diplômés travaillant en région. Si la rencontre visait surtout à récolter des appuis supplémentaires, elle appelait aussi les participants, dont la Table Jeunesse de la Matanie, à réfléchir sur les facteurs incitant les jeunes à s’établir en région.

Depuis 2006, les jeunes diplômés travaillant dans une « région ressource éloignée » peuvent bénéficier d’un crédit d’impôt non remboursable au provincial. L’économie réalisée par ceux et celles qui s’en prévalent peut atteindre 3000 dollars par année jusqu’à concurrence de 8000 dollars sur trois ans. Un incitatif à l’établissement en région ou un « bonus d’occupation » pour ceux qui décident d’y rester.

Le Bloc Québécois souhaite maintenant étendre cette mesure fiscale à l’échelle canadienne. Les jeunes diplômés choisissant de s’établir ou de demeurer au Bas-Saint-Laurent ou en Gaspésie, par exemple, bénéficieraient alors d’un crédit total pouvant aller jusqu’à 16 000 dollars, une somme non négligeable dans un contexte d’endettement étudiant, fait-on valoir.

Déposé une première fois en 2006, ce projet de loi était mort au feuilleton lors du déclenchement des élections. L’objectif est ambitieux : freiner l’exode vers les grands centres et relancer l’économie régionale grâce à l’apport de cette main-d’œuvre qualifiée. Le député de Haute-Gaspésie-La Mitis-Matane-Matapédia (ouf!), Jean-Yves Roy, reconnaît d’ailleurs que la mesure proposée est insuffisante, même s’il s’agit selon lui d’un bon point de départ. Impossible aussi de connaître les retombées concrètes du crédit d’impôt au provincial. Dans les arguments présentés, on mesure le succès en termes de jeunes ayant bénéficié du crédit, mais on ignore si leur décision de s’établir dans une des régions ressources a été effectivement motivée par ce « bonus financier ».

Et la mesure ne fait pas l’unanimité. Lors de la consultation du 17 mars, divers groupes se sont exprimés, dont des jeunes issus des milieux agricoles et sylvicoles. Selon eux, ce type de mesures est peu adapté à leur réalité. Un crédit d’impôt non remboursable favorise en effet ceux qui gagnent un revenu suffisamment élevé pour payer de l’impôt. Or, de nombreux exploitants agricoles et travailleurs autonomes ne réalisent pas de bénéfices au cours de leurs premières années d’activité.

Soyons clairs. L’objectif principal de la mesure n’est pas de contrer l’exode au sens large, mais de faire face à la pénurie de main-d’œuvre spécialisée. Elle ne s’attaque pas au problème de l’emploi. Elle intervient a posteriori, puisqu’elle vise les jeunes occupant des postes dans leur secteur d’activité, des jeunes qui auraient pu exercer leur métier ailleurs au Québec.

Il faut garder en tête que le retour en région est davantage un appel du cœur que du portefeuille. Beaucoup de jeunes diplômés veulent d’abord un emploi stimulant, un cadre de vie agréable, un milieu social et culturel dynamique. Or, lorsqu’il est question de mettre en place des incitatifs à l’établissement en région, on considère souvent en premier lieu les aspects économiques. Bien que ceux-ci soient effectivement importants, d’autres facteurs interviennent, même s’ils se chiffrent moins facilement que les millions de dollars consentis en crédits d’impôt ou les centaines d’emplois créés. Lorsque vient le temps de donner une âme à une région, ils comptent.

Parmi les causes des migrations vers les grands centres et de la dévitalisation des petites collectivités de l’Est du Québec, on entend souvent les mêmes explications revenir en boucle : faible diversification de l’économie, crise forestière, politiques gouvernementales centralisatrices, etc. Des facteurs sur lesquels le citoyen ordinaire sent son pouvoir limité, confronté à une réalité apparemment trop vaste et complexe. Un constat démobilisateur.

On néglige souvent les facteurs endogènes, ceux dont on est responsables, au moins en partie. Parmi ceux-ci, on retrouve la faiblesse de leadership et d’entrepreneuriat local. Les études sur le sujet le disent pourtant : des idées novatrices menant à la création d’entreprises et de projets communautaires sont plus susceptibles de générer un environnement social et économique dynamique à même d’ancrer les jeunes dans leur milieu et d’ainsi contrer le processus migratoire. Il n’est pas ici question de s’improviser « homme d’affaires » pour vivifier l’économie de sa ville à grands coups d’investissements. Il s’agit plutôt de se rouler les manches et de se jeter dans l’action, de lancer des idées nouvelles, de s’impliquer dans un groupe local, de mettre sur pied des projets à sa mesure et pour sa collectivité.

Pour favoriser l’occupation du territoire et dynamiser la Matanie, nulle mesure, même imparfaite, n’est superflue. L’efficacité du crédit d’impôt aux nouveaux diplômés reste toutefois à démontrer. Car le défi est de taille : partout, on nous reflète une carte du Québec déformée, sur laquelle la région de Montréal est une mégapole hypertrophiée entourée de vagues trous noirs. Notre région n’existe qu’à peine. Pas étonnant qu’on n’ait pas envie d’y vivre, en particulier lorsqu’on est jeunes et prêts à saisir les mille opportunités qui s’offrent à nous. Convaincre du contraire demande des efforts constants de la part des gouvernements, certes, mais surtout de ceux qui connaissent ce territoire, qui y vivent.

À nous donc, jeunes du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie, de faire mentir ceux qui associent la région à l’apathie. Pour y parvenir, il ne suffit pas de faire acte de présence dans les limites d’une zone qu’on nomme « région ressource ». Notre seule présence, même si elle peut constituer à certains égards un acte de résistance aux pouvoirs d’attraction des centres urbains, n’assure pas en soi l’occupation du territoire d’une façon durable. Combler une lacune, contrer la pénurie, renverser l’exode, c’est encore seulement tenter d’atteindre le seuil de la viabilité. Il ne faut pas seulement habiter la région : il faut en être un citoyen actif.

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