
« J’ai grandi dans la ville de Murdochville, en Gaspésie. Je vous invite, ceux qui n’y sont pas allés ces dernières années, à y marcher un soir de grand vent : vous allez comprendre ce que c’est qu’une éolienne. Un bruit infernal. Je suis profondément convaincu que si les mines de Murdochville avaient été plus riches, que si le gisement minier avait eu un autre 50 ans de vie, il n’y aurait pas une éolienne à Murdochville1. »
Ces propos, que le président de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), Michel Arsenault, a prononcés lors du colloque Le vrai visage de l’éolien tenu les 19 et 20 novembre derniers à Québec, traduisent des inquiétudes concernant la santé publique et remettent même en cause la portée économique du projet éolien à Murdochville. Le colloque s’est déroulé sur un accord de principe, celui de la nationalisation de la production éolienne, tout en reprenant le thème de la Révolution tranquille : « Restons maîtres chez nous! »
Le président de la FTQ a rappelé l’importance de la création d’Hydro-Québec (H.-Q.), une entreprise qui nous appartient et qui a permis d’inscrire la société québécoise dans un mouvement de modernisation. En ce sens, le syndicat défend une gestion collective de la production de l’énergie hydroélectrique et de l’énergie éolienne tout en affirmant son opposition à la privatisation d’H.-Q. Michel Arsenault réaffirme le maintien d’H.-Q. comme entreprise d’État qui offre des prix préférentiels à l’ensemble des Québécois au nom d’une plus grande justice sociale. Laisser l’expertise et la production de l’électricité entre les mains du capital financier privé, comme c’est le cas actuellement avec le développement de l’énergie éolienne, irait – pour reprendre une expression à la mode – à l’encontre de l’acceptabilité sociale. Il est logiquement inacceptable également de construire des parcs éoliens industriels dans des territoires habités quand ceux-ci devraient se trouver près des grandes lignes de transport d’électricité situées au Nord du Québec. Bref, le message du président de la FTQ a le mérite d’être clair : l’hydroélectricité et l’énergie éolienne comme production énergétique complémentaire doivent rester sous le contrôle de l’État et de ses citoyens afin de garantir le partage de la richesse.
Il y avait également dans le message de Michel Arsenault un appel à la mobilisation contre la déréglementation du développement économique qui nous a conduit à la crise financière que nous vivons aujourd’hui.
Vers un moratoire?
Revendiquer la nationalisation de la production de l’énergie éolienne, c’est en quelque sorte se redonner cette volonté collective de « penser la nation » dans un contexte passablement troublant : la crise actuelle, si elle pointe le capital, laisse dans l’ombre une crise de la culture qui se manifeste parfois par ce sentiment d’être un individu superflu. Que la FTQ demande un moratoire sur les projets éoliens, afin que nous puissions collectivement voir plus clair dans ce développement technologique qui s’appuie sur des bases financières volatiles sans être encadré par des finalités communes, ne peut être reçu que comme un second souffle par ceux qui s’interrogent sur la pertinence d’un tel développement. Il y a donc ici des alliances possibles entre le mouvement syndical et les comités de vigilance.
Mouvements d’opposition ailleurs au Québec
On pense certes aux citoyens de Sainte-Luce qui se mobilisent contre le projet du parc éolien du promoteur Kruger, mais aussi au mouvement de lutte contre le projet d’un parc éolien par le promoteur Saint-Laurent Énergies dans les montagnes du Massif du Sud de la région de Chaudière-Appalaches. Ce projet est considéré par les opposants comme une menace pour le paysage et le développement touristique de la région. La leader des opposants, Mireille Bonin, présente au colloque de la FTQ, a manifesté le souhait de rassembler dans un vaste mouvement tous ceux qui s’opposent à la logique du modèle de développement défendue par les promoteurs. Une rencontre est prévue en janvier 2009. Soulignons également qu’un mouvement d’opposition s’organise dans la MRC de L’Érable (Centre-du-Québec) contre le projet de parc éolien du promoteur Enerfin.
Une alliance possible?
Cette alliance avec le syndicat de la FTQ, si elle est souhaitable et nécessaire, n’est cependant pas gagnée d’avance. Comme le disent les bonnes vieilles théories du mouvement ouvrier, les luttes sont pleines de contradiction. Nous savons que la FTQ défend le projet de dérivation de la rivière Rupert dans le but d’augmenter la production d’électricité pour l’exportation. Dans le message qu’il a livré au colloque, Michel Arsenault a réaffirmé son appui au mégaprojet Eastmain en vue d’assurer la sécurité énergétique et le développement économique du Québec, tout en précisant que H.-Q. accuse un retard en matière de construction de barrages depuis 1996.
Les associations Fondation Rivières, Révérence Rupert et Sierra Club Canada s’opposent quant à elles à ce projet et ont déjà demandé un moratoire dans l’intention de proposer d’autres avenues visant à préserver la rivière Rupert, dont la création d’un parc éolien dans la région du complexe La Grande.
Là où il y a parfois un fossé entre les écologistes et la FTQ, c’est dans la représentation du mouvement. Dans son document de présentation aux audiences publiques en mai 2006 sur le projet Eastmain, la FTQ décrivait les opposants comme étant plus préoccupés par « le romantisme de la nature vierge et le canot-kayak en rapides que la sécurité alimentaire et la santé des milliards de pauvres de la planète. Égoïsme de privilégiés qui considèrent plus importante la protection de leur bout de paysage que la production d’énergie renouvelable, sans comprendre que l’effet de serre s’attaquera à la nature vierge de ces mêmes paysages2. »
Or une lecture attentive du mouvement de lutte pour la protection des rivières permet de montrer que celui-ci a plusieurs affinités avec la FTQ. C’est le cas par exemple de la Fondation Rivières3 qui reconnaît que le développement des ressources naturelles (forêt, forces hydroélectriques, vent), qui appartiennent à la collectivité, doit être sous le contrôle de l’État. La nationalisation de l’électricité dans les années 1960 est également saluée par la Fondation Rivières, car elle a permis d’atteindre des objectifs de production d’hydroélectricité (pour répondre aux besoins de l’ensemble de la population) et de rentabilité (les retombées économiques permettant de sauvegarder et de créer de l’emploi). Il en est de même pour la nationalisation des éoliennes que revendique la Fondation Rivières qui, comme la FTQ, se demande pourquoi H.-Q. ne prend pas l’initiative de développer l’énergie éolienne. Le problème se trouve ailleurs et il porte essentiellement sur les fondements du développement : pour la FTQ, le modèle de développement semble toujours reposer sur le paradigme de la croissance alors que, pour la Fondation Rivières, les solutions apportées visent un changement de paradigme au nom de la diversification et du principe de précaution.
Cela ne veut pas dire qu’il est impossible de créer des liens de solidarité entre le mouvement syndical et les comités de vigilance. Bien au contraire, puisque leurs luttes visent, d’une part, une réappropriation collective des projets de développement éolien et, d’autre part, la redistribution équitable de la richesse. Une redistribution dont les communautés locales ont grandement besoin afin qu’elles puissent éviter que leur développement reste sous l’emprise d’une concurrence qui est dictée par le marché de l’industrie éolienne et qui affaiblit les solidarités locales. Mais on comprendra aussi que le débat doit porter sur l’avenir du développement dont la croissance est devenue durablement insoutenable.
Méchant défi!
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Notes:
1. Propos cités de Michel Arsenault, président de la FTQ.
2. Cette citation provient d’un document présenté par la FTQ aux audiences publiques du projet Eastmain-1-A et dérivation de la Rupert devant le Comité provincial d’examen (COMEX) et la Commission fédérale d’examen à Montréal, le 4 mai 2006, p. 13.
3. Voir Roy Dupuis, « Mes questions dérangent-elles? », Le Devoir, mardi 25 avril 2006, p. A7.