Le Bic, le 8 décembre 2008 – Il était une fois, au royaume du Canada, deux premiers ministres conservateurs (sic) mécontents de s’être vu infliger un gouvernement minoritaire à Québec et à Ottawa; ils décidèrent donc de dégainer en déclenchant eux-mêmes coup sur coup des élections sans que leur gouvernement respectif ait été pourtant menacé par l’opposition.
L’un avait décidé de gouverner comme s’il était majoritaire, le Québec l’a privé d’une majorité tant désirée. L’autre avait choisi de se tapir, guettant l’occasion. En dire et en faire surtout le moins possible.
Avec cette stratégie de l’inconsistance, la cote de Jean Charest grimpa en flèche après que son gouvernement eut connu un taux d’insatisfaction inégalé (réingénierie de l’État, les PPP, le Suroît, le mont Orford, les promesses en santé non tenues, etc.). D’« arrogant », il serait ainsi passé à « rassurant ». Pour faire oublier son virage à droite en 2003, il s’est installé au centre, dans les plates-bandes du Parti québécois.
Comme résultat de la stratégie caméléon : une majorité de quelques sièges pour le gouvernement libéral, un changement d’opposition avec le retour en force du Parti québécois, le parti de Mario Dumont pulvérisé et l’arrivée de Québec solidaire à l’Assemblée nationale. Dans sa grande sagesse, le peuple a décidé d’améliorer la qualité de la députation.
Faisant fi de sa condition minoritaire, Stephen Harper s’est cru permis de pousser à nouveau le troupeau canadien vers la droite, un virage sans précédent dont il s’était bien gardé de parler en campagne. À l’heure où tous les gouvernements de droite dans le monde ont décidé d’infléchir la barre vers le centre pour tenter de remédier aux désastres causés par les politiques néolibérales, le premier ministre Harper, lui, tente d’imposer une idéologie devenue pourtant obsolète de par sa dangerosité avérée. Il semble donc ne pas se rendre compte qu’il est arrivé au pouvoir dix ans trop tard.
Dans l’énoncé économique contenant une réduction des dépenses décriées par tous, le chasseur de primes prévoyait éliminer le financement des partis politiques : pow! pow! exit le Parti vert, à genoux le Parti libéral. Pourquoi ne pas se débarrasser d’autres « irritants » : pow! le droit de grève des fonctionnaires et l’équité salariale. Et quoi encore? Prochaine cible, Radio-Canada? Et on ose qualifier de coup d’État l’opposition de la majorité des députés en chambre!
Une fois le feu aux poudres, et pour que le taureau canadien voie rouge, agitons de vieux démons : les méchants « séparatisses ». Il « putsch » fort, Harper. Décidément, le vote québécois lui est resté en travers de la gorge. Mais les Canadians ont-ils encore peur des épouvantails?
Cracher sur le choix démocratique du Québec, c’est n’avoir aucun sens de l’Histoire, entre autres. En effet, comment ne pas comprendre qu’entre la « nuit des longs couteaux » et le « scandale des commandites », il y a un long mépris pour la nation québécoise? Comment ne pas comprendre qu’une reconnaissance de cette nation qui n’est pas suivie de gestes concrets lui donnant sens n’est que de la poudre aux yeux? Comment ne pas comprendre alors qu’avec la « provincialisation » du Québec, amorcée après le référendum par le gouvernement Chrétien et confortée par les deux mandats de Jean Charest, le Québec n’a plus que le Bloc québécois comme outil politique pour signifier que, si le Québec fait bien partie du Canada, le Canada ne peut cependant être gouverné sans le Québec? Un message limpide, mais il n’y a pas de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.
Il y a sûrement des conservateurs canadiens qui rêvent en secret de voir le Québec disparaître de leur paysage afin de pouvoir gérer le Canada à leur guise. Ils peuvent toujours le demander à Santa Claus!
Le point faible de la coalition anti-Harper était sans contredit Stéphane Dion. Le chantre de la clarté a entendu siffler le lasso sur sa tête; il sortira donc de l’arène, ce qui pourrait lui éviter le châtiment du vacher : le goudron et les plumes. Mais encore faudra-t-il que dans la basse-cour libérale, le combat de coqs cesse.
Dans la partie de bras de fer qui s’annonce à la Chambre des Communes cet hiver, le Parti libéral devra être capable de mener la coalition ou une campagne électorale, et ce, même pour éviter l’une et l’autre. Civis pacem parabellum! Sinon, gare au goudron!
Une fois le rodéo terminé et la poussière retombée, c’est un pays politiquement amoché, avec une vice-reine passablement décoiffée, qui sera livré aux soubresauts d’une crise mondiale.
Quant à Jean Charest, il a beau aujourd’hui se draper du fleurdelisé, on sent toujours les éperons. Par conséquent, ou il abandonne définitivement les habits conservateurs pour devenir un authentique libéral de la lignée des Jean Lesage et des Robert Bourrassa ou il continue à rêver d’un retour triomphal à Ottawa : le retour de Johnny James, celui qui aurait réussi à mater le Québec. You can’t have the cake and eat it!
Bonne chance!