La notion de liberté est intimement liée à la liberté de parole et à toute autre forme d’expression, que ce soit au nom de l’autonomie et de l’épanouissement individuel ou au nom de la justice et de l’égalité entre les hommes et les femmes. Ce sont des valeurs défendues par le mouvement des femmes non seulement pour elles-mêmes, mais aussi pour les hommes et les femmes de tous les pays.
Depuis le début de la modernité, ces valeurs ont été plus d’une fois menacées et même abolies lors de certains moments troublants de notre histoire. Et c’est encore vrai aujourd’hui, puisque la condition humaine n’est jamais à l’abri d’épreuves qui risquent de faire basculer tant les individus que les collectivités dans les pires dérives.
C’est pourquoi nous avons besoin de zones tampons – par exemple le Conseil du statut de la femme (CSF) – et de mouvements sociaux – par exemple le Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) de Rimouski – qui servent d’espaces de discussion au nom d’un monde commun, celui de la communauté qui s’élève au-dessus des intérêts individuels. L’idée selon laquelle cette communauté, c’est aussi celle des rapports de sexe, doit être défendue comme dans le cas du mouvement des femmes.
C’est donc à partir de ces a priori que j’ai lu le collectif dirigé par Mélissa Blais et Francis Dupuis-Déri1 qui analyse le mouvement masculiniste dont l’« objectif général [est] de contrer l’émancipation des femmes ». Ce mouvement a émergé dans les années 1980 en prenant appui sur la naissance d’un conservatisme de droite (par exemple l’ADQ) pour accuser les femmes du désarroi des hommes et discréditer l’ensemble du mouvement des femmes.
Les neuf autres auteurs du collectif démontrent que, dans le pire des cas, le mouvement masculiniste propage la haine des femmes (pour s’en convaincre, on n’a qu’à se rendre sur le site Content d’être un gars) en intervenant dans des événements féministes par des insultes et de l’intimidation.
Les masculinistes attribuent également au mouvement féministe et à l’émancipation des femmes tout le poids du désarroi des hommes comme le montre particulièrement un des chapitres de cet ouvrage qui porte sur l’analyse de la tragédie de la Polytechnique où 14 femmes ont été tuées. Malgré l’ampleur du drame, le criminel est transformé par certains masculinistes en héros devenu le défenseur des hommes qui ont perdu leurs repères.
Comme le montrent d’autres articles de l’ouvrage, le glissement sémantique de criminel à héros, d’agresseur à victime repose sur un argument psychologique qui sert de fondement aux masculinistes pour expliquer la perte de contrôle des hommes. Cet argument est complété par celui de la naturalisation des comportements humains, comme s’il était dans la nature profonde de l’homme de se comporter de manière agressive. Une agressivité qui serait comprise dans son sens positif : c’est une forme d’affirmation de soi qui se manifeste non pas par des mots, mais par des attitudes (par exemple, s’isoler) et des gestes (par exemple, frapper son poing sur la table).
La critique que formulent plusieurs auteurs de l’ouvrage à l’égard de la naturalisation des rapports de sexe est que celle-ci finit par s’attaquer au mouvement des femmes qui valorise plutôt la communication verbale. La parole est perçue par les masculinistes comme une stratégie de féminisation des hommes, niant ainsi dans son essence leur condition d’homme. Il deviendrait alors impossible de transformer les rapports homme/femme puisqu’ils sont déjà inscrits dans des fondements biologiques. Ainsi, pour les masculinistes, toute action féministe allant à l’encontre de cette norme immuable est comprise comme un geste contre les hommes.
En fait, comme le montrent les auteurs, il y aurait chez les masculinistes cette « hantise de l’égalité » qu’ils cherchent à bannir en traquant continuellement les féministes. De plus, la négation des inégalités entre les hommes et les femmes amène bien souvent les masculinistes à refuser d’assumer la moindre responsabilité, particulièrement en ce qui concerne la garde des enfants lors d’une situation de divorce. Ici, les stratégies et les fausses informations sont nombreuses pour accuser le système judiciaire de favoritisme. D’autres masculinistes prétendent manquer de ressources d’aide alors que les auteurs montrent qu’il s’agit plutôt d’une forme de stratégie pour laisser croire que le mouvement des femmes serait trop subventionné.
Enfin, cet ouvrage montre que le mouvement masculiniste s’inscrit dans la logique de « la montée de la droite politique et économique et des conservatismes moraux et religieux » qui discrédite la présence des femmes dans l’espace public dans l’intention de les repousser vers l’espace familial. Une façon d’éviter les débats tout en préservant le système patriarcal et les rapports de domination contre la liberté de parole des femmes.
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Notes:
1. Mélissa Blais et Francis Dupuis-Déri (sous la dir. de), Le mouvement masculiniste au Québec. L’antiféminisme démasqué, Montréal, Éditions du remue-ménage, 2008, 264 p.