Le présent article n’a bien sûr rien d’exhaustif. Ces quelques exemples ne tendent qu’à illustrer à quel point les femmes dans notre société ont été dominées à tous les points de vue par le passé. Dans les récents débats qui ont marqué les auditions de la Commission Bouchard-Taylor, il a été maintes fois souligné que l’égalité entre les hommes et les femmes constituait dans le Québec d’aujourd’hui un acquis incontournable et un droit fondamental et inaliénable. Il est bon de connaître l’histoire non seulement pour comprendre d’où l’on vient, mais aussi pour savoir au cœur de quelles injustices on ne voudrait pas être à nouveau plongé.
Incapacité juridique
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, notamment, la femme est partout perçue comme un être faible et inférieur. Elle est définie par son rôle d’épouse et de mère, au service de son mari et de ses enfants. La première fonction reconnue de la femme est celle de la reproduction, que l’Église rend obligatoire. La femme célibataire est vue comme une femme incomplète, si elle ne fait pas partie d’un ordre religieux. Dans l’Église ou la vie civile, la femme est toujours sous la domination de l’homme, prêtre, père, mari ou législateur.
Tel que le définit le Code civil du Bas-Canada qui a force de loi de 1866 à 1915, le statut juridique de la femme en est un d’« incapacité générale » et correspond à celui des « mineurs et des interdits ». La femme ne peut contracter ni se défendre en justice ou intenter une action. Si elle a le droit de tester, elle ne peut par contre être tutrice ni curatrice. Elle doit entière soumission à son mari qui en échange lui doit protection. La nationalité, le choix du domicile, le choix des résidences sont imposés par le mari et tout exercice des droits civils se fait sous le nom du mari. Ce dernier peut toujours exiger la séparation pour cause d’adultère; la femme ne peut l’exiger que si le mari entretient sa concubine dans la maison commune.
La femme ne peut exercer une profession différente de son mari; elle ne peut être marchande publique sans l’autorisation du mari; elle ne peut accepter seule une succession, ni une exécution testamentaire; elle ne peut ni faire ni accepter une donation entre vifs; elle ne peut hériter de son mari mort sans testament qu’après les 12 degrés successoraux1. Si elle est mariée sous le régime de la communauté légale, le mari est seul responsable des biens de la communauté, et elle est responsable face aux dettes de son mari (ce qui n’est pas le cas pour lui). En régime de séparation de biens, elle ne peut disposer de ses biens, mais peut les administrer avec l’autorisation de son mari, ou, à défaut, avec celle d’un juge. Le mari ne peut autoriser sa femme de façon générale, une autorisation particulière est requise à chaque acte.
Elle ne peut ni consentir seule au mariage d’un enfant mineur, ni lui permettre de quitter la maison, ni agir à titre de seule tutrice de ses enfants mineurs. Elle n’a pas le droit de corriger ses enfants.
Incapacité politique
Cette infériorité juridique se complète par une limitation très étroite des droits politiques. La situation des femmes s’est même détériorée à ce chapitre au début du XIXe siècle. En effet, selon l’Acte constitutionnel de 1791, les femmes peuvent exercer leur droit de vote comme les hommes si elles remplissent les mêmes conditions. En 1849 cependant, le parlement du Canada-Uni vote une loi pour leur interdire officiellement ce droit. Ce n’est qu’en 1917 qu’elles le récupéreront, pour ce qui est des élections au fédéral, et alors que toutes les provinces leur accorderont le même droit en 1922; l’Église du Québec s’y opposera encore farouchement, alléguant que le suffrage des femmes constitue « un attentat contre les traditions fondamentales de notre race et de notre foi ». Il faudra attendre l’élection d’Adélard Godbout et l’arrivée des libéraux au pouvoir en 1940 pour que ce droit leur soit concédé au provincial, contre la volonté du cardinal Villeneuve pour qui ce droit de vote « compromettait l’unité de la famille et de la hiérarchie, [parce] qu’il livrerait les femmes aux passions et aux aventures des politiques électorales, que la plupart des femmes ne souhaitaient pas voter et que l’ensemble de leurs demandes d’ordre social pouvait être comblé par les groupes de pression féminin œuvrant à l’extérieur du système parlementaire ».
Infériorité économique
Malgré une volonté manifeste des autorités religieuses de confiner le « sexe faible » à ses rôles d’épouse, de mère de famille et de ménagère, la réalité économique impose sa loi et oblige bien souvent la femme à gagner le marché du travail. Lorsqu’elle le fait, souvent de façon épisodique pendant sa vie de « fille » ou entre deux grossesses, elle se retrouve encore là déclassée et défavorisée. Ainsi, pendant la seconde moitié du XIXe siècle, les femmes sont majoritaires dans les industries telles le textile, le vêtement et le caoutchouc et représentent 40% des effectifs dans le tabac et les chaussures. On est bien sûr très intéressé à les embaucher, elles ne gagnent que la moitié du salaire d’un homme! Elles font aussi énormément de sous-traitance à domicile pour l’industrie du vêtement, et cela, pour une rémunération dérisoire. Surprenant de constater qu’elles représentent, en 1871, 33% de la main-d’œuvre industrielle à Montréal et Hochelaga et 28%, en 1891.
Dans le domaine de l’enseignement où elles représentent plus de 80% des effectifs en 1874, les institutrices sont généralement deux à trois fois moins payées que les instituteurs. Dans ce secteur d’activité, le double clivage homme/femme, anglophone/francophone joue de façon marquante et impose une réalité dramatique : le salaire d’une institutrice catholique est de 1 387 $ par année, celui d’une enseignante protestante, de 1 068 $; l’instituteur catholique gagne 1 552 $ alors que celui qui enseigne dans une école protestante touche 2 351 $.
Les femmes sont aussi coupées de l’enseignement supérieur. Il n’y avait aucune femme architecte ou ingénieur au Québec en 1911, au moment où elles n’occupent que 1% des tâches dans la fonction publique. La même année, le Québec comptait 2000 médecins dont 21 femmes qui avaient toutes cependant étudié à l’extérieur de la province. Les femmes ne purent accéder à la pratique du droit qu’en 1941 et au notariat qu’en 1956.
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Notes:
1. En cas d’absence de testament au moment du décès du mari, le Code civil prévoyait une hiérarchie dans le rang des héritiers potentiels selon le degré de parenté le plus proche (fils majeur, frère, oncle, etc.). Son épouse occupait le 13e rang, c’est-à-dire qu’elle pouvait hériter des biens de son époux seulement si chacune des douze personnes la précédant dans cette liste avait renoncé à l’héritage ou était décédée.