Actualité

« Le pouvoir, c’est une machine à espoir »

Par Isabelle Girard le 2008/03
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« Le pouvoir, c’est une machine à espoir »

Par Isabelle Girard le 2008/03

Suzanne Tremblay a été députée bloquiste de Rimouski-Neigette-Témiscouata de 1993 à 1999 et de Rimouski-Neigette-et-la-Mitis de 1997 à 2004. Bien qu’elle se soit retirée de la vie parlementaire, elle n’en demeure pas moins une femme passionnée de politique qui suit l’actualité et prend position dans les débats régionaux, nationaux et internationaux. Présidente de la Coalition urgence rurale, directrice de la campagne de financement de l’Association des soins palliatifs de l’Est du Québec en vue de la construction d’une maison de fin de vie à Rimouski, membre des C.A. de l’Association des ex-parlementaires du Canada, de la Fondation canadienne d’éducation, de Maison familiale du Québec et membre de l’exécutif de Solidarité rurale du Québec, Suzanne Tremblay est une citoyenne engagée dans sa communauté. Elle nous a généreusement accordé une longue entrevue dont nous publions quelques extraits.

Mouton NOIR – Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous lancer en politique?

Suzanne Tremblay – J’ai été mêlée à la politique depuis que je suis toute jeune. Mon père était un organisateur politique. Comme j’appartiens à une famille très nombreuse (je suis 13e), ma mère demandait à mon père, lorsqu’il allait à des réunions, d’emmener les enfants (Réal, Denis et moi). Nous étions parmi les plus jeunes et les trois plus tannants. Ça soulageait ma mère, et on adorait accompagner mon père. Là, on nous faisait faire « des vraies choses » : plier des lettres, les mettre dans les enveloppes, et, lorsque nous étions plus vieux, les classer par ordre alphabétique.

On a vu la politique de près. C’était un monde qui nous intéressait, nous fascinait. Il y avait des gens qui venaient à la maison. Ils se réunissaient dans le boudoir, et on pouvait les voir à travers la vitre de la porte. Ça discutait fort et ça boucanait!

Parmi les cinq enfants plus jeunes de la famille, il y en a trois qui ont fait de la politique active, dans trois partis différents. Mon frère Réal, pour l’Union nationale et les Progressistes conservateurs, mon frère Michel pour le Parti libéral et moi, pour le Bloc québécois. Chez nous, la discussion politique a toujours été très libre. Mon père ne nous a jamais forcés à voter comme lui.

M. N. – Y a-t-il des différences entre un homme politique et une femme politique?

S. T. – Les femmes ne font pas de la politique pour les mêmes raisons. Pour ma part, je n’ai jamais pensé que je ferais de la politique active, mais j’ai toujours voulu jouer un rôle dans l’ombre pour que les gouvernements prennent des mesures qui avaient de l’allure.

Lorsque j’étais députée, à Ottawa, Don Boudria a eu la même idée que celle que vient d’avoir le Directeur général des élections du Québec : il voulait donner de l’argent aux partis politiques qui présenteraient des femmes aux élections… Il y a un seul job où les femmes se font payer parce qu’elles sont des femmes, c’est la prostitution ! Si on paie le parti politique parce qu’il a présenté une femme, il pourrait en présenter dans tous les comtés où le parti n’a aucune chance de gagner, ce qui serait un bon moyen d’aller chercher de l’argent. À l’époque, pour bloquer cette proposition, tous les caucus de femmes du BQ, du PLC, du PC, de l’Alliance et du NPD se sont mis ensemble et ont dit non. Don Boudria a été surpris de notre décision.

Si une femme est élue seulement parce qu’elle est une femme et que le parti a eu de l’argent pour qu’elle soit là, une fois élue, elle devra son siège au parti. Et ça risque de limiter sa liberté.

M. N. – Que pensez-vous de la parité?

S. T.  – En France, après toutes les mesures qui ont été mises en place pour arriver à la parité, ils vont y arriver dans les mises en candidature pour les élections municipales qui s’en viennent. Mais récemment, dans un reportage à TV5, on disait que ça ne changerait rien parce que les partis ont mis leurs candidates dans des circonscriptions où elles avaient peu ou pas de chance d’être élues. La parité va être sur papier. Ce n’est pas comme ça qu’on va arriver à changer les choses.

Je ne souhaite pas ce genre de parité. Il faut laisser faire le temps. Les femmes devraient avoir bientôt la majorité dans presque tous les secteurs d’activités comme elles l’ont présentement dans un grand nombre de facultés universitaires. Regardez ce qui se passe dans les universités, dans les industries. Quand les hommes veulent s’assurer de la parité dans les conseils d’administration, c’est parce qu’ils savent que bientôt les femmes pourraient être majoritaires.

M. N. – Pourquoi y a-t-il moins de femmes que d’hommes qui s’investissent en politique?

S. T.  – Ce qui fait notre faiblesse, à nous les femmes, c’est que nous n’avons pas de réseau. Les hommes, dès leur maturité, développent des relations en faisant partie de la Chambre de commerce, du Rotary, des Lions, des Chevaliers de Colomb, etc. qui sont toutes des organisations auxquelles les femmes n’avaient pas accès. Bien sûr, c’est de moins en moins vrai aujourd’hui.

La deuxième chose, c’est l’argent. Sans réseau, c’est plus difficile d’en ramasser. Et comme on ne fait pas encore très confiance aux femmes en politique, il n’y a pas grand monde intéressé à leur donner de l’argent au départ.

La troisième, ce sont les responsabilités qui sont les leurs. Je l’ai personnellement expérimenté pour les élections de 1997 et de 2000, alors que j’étais responsable de recruter des femmes candidates pour le Bloc. Je rencontrais des femmes pour essayer de les convaincre, et la première chose qu’elles me disaient, c’était : « Je ne sais pas trop ce que mon mari va penser de ça… Qui va s’occuper des enfants? » Quand je rencontrais des hommes, il n’y en a jamais eu un qui s’est posé ce genre de questions. De plus en plus, les choses changent, mais longtemps la vie familiale a été vue comme un frein pour les femmes.

Et puis il y a la carrière. Pour les femmes, ce n’est pas, en général, quelque chose qu’elles souhaitent forcément.

Au fond, les femmes et la politique, c’est un peu un faux débat. Il est souhaitable qu’on arrive à ce que les femmes incluent aussi, dans l’ensemble de leurs responsabilités, l’engagement politique. C’est aussi important que tout le reste. Maintenant, avec des pères qui ont des congés parentaux et qui apprennent à élever leurs enfants, à partager davantage les tâches familiales, ça crée des relations différentes. À partir de là, une femme peut se réserver du temps pour faire de la politique. C’est une question d’organisation et d’intérêt. On peut changer les choses si on est en nombre pour le faire et si on ne se met pas à jouer les games que les hommes jouent pour le pouvoir. Le pouvoir, c’est une machine à espoir. Il faut apprendre à l’utiliser.

M. N. – Quelles sont les principales qualités des femmes en politique?

S. T.  – Je pense que ça prend de l’autonomie d’esprit. La femme qui sait qui elle est, ce qu’elle veut faire dans la vie ne s’en laissera pas imposer et sera capable de prendre sa place pour exprimer ses opinions. Il est souhaitable qu’elle soit arrivée là parce qu’elle a joué franchement les règles du jeu et qu’elle ne doive rien à personne.

Elle doit être capable de prendre la parole au caucus, de défendre les intérêts de celles et ceux qu’elle représente. C’est toujours ce que j’ai fait. La personne qui voudrait me faire taire n’est pas encore née.

Mais je crois que c’est plus facile au niveau scolaire ou municipal, parce qu’on est proche des nôtres. Les femmes devraient commencer là, mais en développant leur capacité à ne rien « prendre personnel ». On ne se lève pas un matin en se disant : « Bon, aujourd’hui, j’ai un conseil municipal, je vais faire le pire que je peux pour prendre les plus mauvaises décisions. » On y va avec ses connaissances, son expérience, son bon vouloir. Si on n’est pas assez au fait d’un dossier, il faut avoir la capacité, l’humilité de poser des questions.

Si on est là pour défendre les intérêts des autres et non pour soi, il n’y a rien qui peut nous arrêter, il me semble.

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