Actualité

La (re)belle province
se réseaute

Par Julien Boisvert le 2007/11
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La (re)belle province
se réseaute

Par Julien Boisvert le 2007/11

Maude se définit avant tout comme écologiste, et Elsa, comme féministe. Le 24 août dernier, dans le cadre du premier Forum social québécois (FSQ) qui prenait place à Montréal, elles unissent leurs forces et présentent un atelier intitulé « Vers des écoféminismes québécois? » Leur atelier, qui compte parmi les 315 que propose la programmation du FSQ, vise entre autres à croiser le mouvement militant de l’une et de l’autre, pour que chacun gagne en force. Le réseautage, c’est en quelque sorte LA raison d’être de ce grand rassemblement, qui a attiré entre les 23 et 26 août près de 5000 personnes – un score qui dépasse de loin les objectifs fixés.

De ce nombre, le tiers provenait de l’extérieur de Montréal, dont une bonne délégation bas-laurentienne. « Notre région a répondu à l’appel, même si on ne s’est pas beaucoup concerté avant, faute de temps », nuance Guylaine Bélanger, candidate pour Québec solidaire aux dernières élections, qui s’est elle-même déplacée pour l’événement.

Si la formule adoptée par le FSQ vient de faire ses preuves au Québec, il semble qu’elle remporte le même succès ailleurs dans le monde. Soixante autres forums sociaux se sont ainsi déroulés en 2006-2007, parfois à une échelle nationale – notamment le Forum social états-unien à Atlanta, cet été –, ou continentale – le Forum social africain à Naïrobi, en janvier dernier.

L’aventure commence en 2001, à Porto Alegre, au sud du Brésil. Pour faire contrepoids au Forum économique mondial qui rassemble chaque année en Suisse les dirigeants des grandes multinationales, des milliers d’activistes altermondialistes convergent au Brésil, où est organisé le tout premier Forum social mondial (FSM).

« Le FSM, c’est des dizaines de milliers de personnes de partout dans le monde. Mais c’est tellement gros que tu peux pas vraiment élaborer une stratégie concrète pour la prochaine année », affirme Maude Prud’homme, qui est déjà passée deux fois à Porto Alegre. Celle qui était aussi coanimatrice de l’atelier sur l’écoféminisme croit que son petit frère québécois, le FSQ, risque de donner de meilleurs résultats. « On verra dans la prochaine année, mais disons que les gens qui discutaient de stratégies de lutte ont plus de chances de se revoir parce qu’ils habitent dans la même zone géographique », avance-t-elle.

Mirlande Demers est partie de Québec pour venir au FSQ où elle donne en ce vendredi avant-midi un atelier sur les différentes formes d’oppression : racisme, patriarcat, hétérosexisme, handicapophobie… Dans une salle comble, une quarantaine de personnes assistent à la présentation donnée par cette femme de 26 ans – au profil littéralement hors-norme. Mirlande s’affiche comme non-hétérosexuelle, se déplace en fauteuil roulant, et sa peau est de couleur café…

Mais étrangement, ce qui retient le plus l’attention chez elle, c’est son sens de l’humour. Et l’enthousiasme contagieux avec lequel elle communique son message : « La société est principalement entre les mains d’hommes blancs, hétéros et non handicapés. Ils ont construit les institutions actuelles à leur image, en fonction de leurs besoins à eux… », de dire celle qui a initié la bataille contre CHOI-FM et son animateur Jeff Fillion il y a trois ans.

Dans une atmosphère tout aussi contagieuse, un amphithéâtre voisin accueille les grands noms du syndicalisme québécois – entre autres Henri Massé (FTQ), Claudette Charbonneau (CSN), Réjean Parent (CSQ) et Joëlle Bolduc, du Syndicat des étudiants employés de l’UQAM. Le thème de l’atelier tourne également autour du réseautage: « Mouvement étudiant et mouvement syndical : quelles alliances possibles? »

L’auditorium est bondé, et surtout gonflé à bloc. Lors du panel, les étudiants lancent le débat. Où étaient les centrales syndicales lors de la grève étudiante de 2005? Pourra-t-on compter sur elles lors des mobilisations qui s’annoncent pour 2007-2008? Et voilà, le ton est donné…

Pas facile pour les leaders des trois grandes centrales de composer avec un public majoritairement étudiant, qui reprend de surcroît les positions de la très revendicatrice Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ). La bataille pour la gratuité scolaire complète, ça peut encore passer. Mais quand viennent les appels à la grève sociale, qui fusent d’un peu partout dans la salle, on sent que les dirigeants ne suivent plus – dépassés sur leur gauche –, sinon dépassés tout court…

Mais au fait, qui a dit que les rapprochements entre mouvements sociaux, ça se devait d’être facile?

Pour Mirlande Demers justement, rien n’empêche que de tels rapprochements puissent avoir lieu, à condition qu’il y ait auparavant un effort de comprendre l’autre partie. C’est ce qu’elle appelle l’approche « intersectionnelle », un mot savant qui signifie simplement qu’il faut s’ouvrir aux autres groupes discriminés – femmes, chômeurs, immigrants, homosexuels, autochtones, personnes handicapées, etc. – et reconnaître notre propre rôle dans l’oppression de ces groupes. Également responsable du Réseau national des jeunes contre le racisme, cette Québécoise d’adoption pose par exemple, comme condition préalable à toute personne motivée par la lutte contre le racisme, de remettre en cause l’éducation biaisée qu’elle a reçue à l’école.

« Dans mes cours d’histoire, on nous parlait jamais des Noirs qui avaient construit le Québec moderne. Pourtant, on sait aujourd’hui que des Noirs se sont battus sur les Plaines d’Abraham, on sait que d’autres ont été coureurs des bois, et c’est sans parler de ceux qui étaient esclaves. Mais l’histoire du Québec a été javellisée…» Une fois ce constat fait*, selon Mirlande, tout le débat autour des accommodements raisonnables – pour donner un exemple d’actualité – prend une autre perspective. « On mène des discussions sur comment concilier l’identité québécoise avec la récente diversité ethnique. Mais c’est absurde, parce que cette diversité ethnique-là colore notre identité depuis le début, avec la présence au Québec des autochtones, des Noirs, des Irlandais et des Français, pour faire une liste courte. »

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