La solidarité touristique et culturelle, ça vous dit quelque chose? Dans un monde idéal, qui ne serait pas soumis à la logique marchande, cela irait de soi, surtout quand on travaille en région et qu’on vise un bassin de population relativement restreint comme celui du Bas-Saint-Laurent. Pourtant, l’organisation des Grandes fêtes du Saint-Laurent ne s’est pas encombrée, pour sa première édition, de tels scrupules de concertation. Tant pis si les Grandes fêtes ont lieu pendant l’Échofête qui se tient dans la dernière fin de semaine de juillet depuis cinq ans!
Commanditées notamment par les multinationales Molson Dry, A&W, McDonald’s et Pepsi, ainsi que par divers acteurs du milieu dont la Ville de Rimouski, disposant d’un budget de plus de 200 000 dollars, les Grandes fêtes du Saint-Laurent ont accaparé la scène culturelle bas-laurentienne avec le soutien d’un « bulldozer » de la gestion événementielle, Divisions Prostaff, « agence de personnels, promotion, événements, festivals » [sic] de Matane, sous-traitant qui en a assuré l’organisation. En visitant le site de Divisions Prostaff, qui accueille l’internaute avec une douzaine de pitounes en bikini plantées dans l’eau et levant chacune une canette de bière, on découvre plein de détails édifiants ; beach party, galas de boxe, shows d’humour, week-end sports extrêmes, tournée des bars sont au palmarès des événements organisés. Au nombre de leurs partenaires : les Molson Dry et Export, Coors Light, etc., mais aussi les Grandes fêtes du Saint-Laurent. Or, comme celles-ci sont « un organisme à but non lucratif qui a été créé par le désir commun de voir un événement d’envergures [sic] se réaliser au cœur d’une des plus belles villes de l’Est du Québec1 », on est en droit de se demander à quel titre elles figurent parmi les partenaires de Divisions Prostaff.
Avec sa programmation variée et grand public (Marie-Chantal Toupin, les Cowboys fringants et Robert Charlebois étaient de la partie), le succès des Grandes fêtes était bien sûr dans la poche. Mais il ne faut pas se cacher que cette programmation a eu un effet dévastateur sur l’Échofête, en particulier le vendredi soir où le spectacle des Cowboys fringants visait le même public. En effet, ce groupe très à la mode est engagé depuis quelques années dans la cause environnementale. Par le biais de leur fondation qui recueille notamment des fonds à même les recettes de leurs spectacles et d’un disque, les Cowboys fringants protègent des « territoires à haute valeur écologique2 » et sont les initiateurs du programme « Roulez au neutre », visant à réduire les émissions de CO2. Notons toutefois que leur engagement écologique a des limites. Selon Frédéric Lagacé, coordonnateur de l’Échofête, c’est la troisième année consécutive qu’ils refusent l’invitation de se produire à l’Échofête sous prétexte que ce festival de Trois-Pistoles ne leur offre pas un cachet suffisant…
Frédéric Lagacé évalue à 500 le nombre d’entrées perdues ce vendredi soir-là, ce qui équivaut à un manque à gagner de 8000 dollars environ. « C’est sûr qu’on s’en ressent. L’Échofête n’est pas un gros festival. On n’a pas un gros budget, on n’est pas beaucoup financé, ni par les entreprises privées ni par les gouvernements », confie-t-il en entrevue au Mouton NOIR. « Même si on se donne la vie dure, on refuse de s’associer à certaines entreprises qui pourraient nous donner beaucoup d’argent pour gagner une image verte. On essaie de rester authentiques. » Le comble, c’est que, toujours selon Frédéric Lagacé, l’Échofête a aussi perdu sa subvention de Tourisme Québec. « L’Association touristique régionale (ATR) du Bas-Saint-Laurent avait pourtant appuyé notre demande auprès du ministère. Mais c’est les Grandes fêtes, qui ne sont pas membres de l’ATR, qui ont obtenu 10 000 dollars de Tourisme Québec. » N’y a-t-il pas apparence de magouilles politiques là-dessous?
Autre question troublante : comment se fait-il que le ministère des Ressources naturelles et de la Faune ait, lui aussi, commandité les Grandes fêtes du Saint-Laurent? Quel est le lien entre ce ministère et ce festival de musique populaire qui s’est déroulé « au cœur d’une des plus belles villes de l’Est du Québec »? N’y a-t-il pas déjà quelques années, voire quelques décennies que Rimouski est sorti du bois?
Aujourd’hui, l’Échofête tire son épingle du jeu grâce, en grande partie, aux 75 bénévoles qui l’appuient et à l’engagement exceptionnel de ses organisateurs. Plutôt que d’envisager l’avenir du festival sous l’angle du profit et du développement à outrance, Frédéric Lagacé veut trouver du financement pour développer les ressources et créer des emplois. Il sait de quoi il parle, puisqu’il a été lui-même choisi pour assumer à la fois la coordination de l’Échofête et du Rendez-vous des grandes gueules : « Quand j’ai reçu l’appel qui m’a confirmé l’emploi, j’étais dans le smog et la canicule de Montréal. J’étais bien content de revenir à Trois-Pistoles. » Dans un contexte où l’exode des jeunes est un enjeu majeur pour l’ensemble de la communauté régionale, on ne peut qu’applaudir aux projets de l’Échofête.
Mais, pour que tous ces projets se concrétisent, il faudrait que la communauté culturelle se concerte davantage. C’est ce que souhaite à plus petite échelle, par exemple, le Comité consultatif permanent de la Ville de Rimouski qui présentait, en mars dernier, l’idée de fournir aux organismes culturels rimouskois un outil leur permettant de planifier leurs événements. Permettons-nous de suggérer que ce calendrier soit élargi à l’ensemble du Bas-Saint-Laurent.
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Notes:
1. www.lesgrandesfetes.com
2. www.cowboysfringants.com/fondation/