Au Québec, il y a eu une scolarisation importante sur une période d’une trentaine d’années chez les personnes âgées de 15 ans et plus. De marquantes réformes réalisées au nom de l’accessibilité et de la démocratisation des études supérieures ont permis ce progrès. Ainsi, en 1971, 80 % de la population avait moins d’une 13e année de scolarité, alors que, en 2001, cette proportion n’était que de 58 %. Durant la même période, la proportion de personnes détenant un baccalauréat est passée de 4,6 à 14 %1. Or, pour un bon nombre de jeunes, la scolarisation rime avec le départ de la région d’origine, étant donné que tous les programmes ne sont pas offerts dans tous les établissements d’enseignement, surtout dans les régions périphériques.
Les constats présentés dans cet article proviennent de l’analyse des données d’un sondage téléphonique mené auprès de 5 997 jeunes âgés entre 20 et 34 ans par le Groupe de recherche sur la migration des jeunes (GRMJ), affilié à l’Institut national de la recherche scientifique et composé de chercheurs de toutes les universités du Québec, dont l’UQAR. Les entretiens se sont déroulés entre mai 2004 et février 2005.
Selon les travaux du GRMJ, près de la moitié des jeunes âgés de 20 à 34 ans ont quitté leur région d’origine pour différents motifs. Les études constituent le motif le plus souvent cité pour expliquer ce départ, phénomène notamment lié à la répartition sur le territoire des établissements d’enseignement supérieur. De plus, la majorité des jeunes des régions périphériques qui sont partis pour étudier y ont été contraints parce que le programme choisi n’était pas offert dans leur région. Les données montrent également que les jeunes originaires des régions périphériques quittent plus souvent pour leurs études collégiales que les jeunes des autres régions.
Ces constats sont liés à la répartition géographique des institutions scolaires et à la variété des programmes qui y sont offerts. Or, il faut tenir compte d’autres facteurs, comme la scolarisation des parents. Nos données montrent que la scolarisation des parents influence encore le niveau de scolarité de leur progéniture, même de nos jours. On constate aussi que les parents très scolarisés voient la majorité de leurs enfants obtenir des diplômes universitaires quel que soit l’endroit où ils habitent. En effet, ces parents, souvent plus nantis, aideraient leurs enfants à se scolariser. Toutefois, nos données montrent que les enfants de parents peu scolarisés sont plus souvent diplômés de l’université lorsqu’ils habitent en région métropolitaine que les jeunes des régions périphériques, vraisemblablement en raison de la proximité et de la diversité des programmes universitaires. En effet, un jeune Montréalais, même si ses parents sont peu scolarisés, pourra entreprendre des études universitaires sans quitter le domicile familial, ce qui est plus difficilement réalisable pour un jeune résidant en région. Malgré la présence d’établissements collégiaux et de l’Université du Québec sur le territoire, la scolarisation des jeunes vivant en région rime souvent avec un déménagement. Cet état de fait complique le projet de scolarisation, contrainte moins vécue par les jeunes métropolitains. Ces résultats portent à croire à une influence familiale, certes, mais amènent à considérer l’accessibilité aux études supérieures comme une contingence liée à la situation géographique, car l’éloignement géographique influence la scolarisation des jeunes, sauf pour les enfants de parents très scolarisés, qui sont eux aussi très scolarisés quel que soit leur lieu de résidence.
En résumé, peut-on penser que plus une personne habite loin des grands centres, plus elle doit provenir d’un milieu scolarisé et nanti pour pouvoir étudier à l’université? Les mesures d’accessibilité actuellement en place au Québec ne concernent que le capital économique (prêts et bourses, droits de scolarité peu élevés) et laissent de côté le capital symbolique, c’est-à-dire l’influence des parents et du milieu d’origine.
Plus de 40 ans après le Rapport Parent, des problèmes d’accessibilité sont peut-être moins criants, mais des problèmes de démocratisation subsisteraient encore. Cette réforme a jeté les bases du système d’enseignement québécois actuel, notamment par la création des collèges d’enseignement général et professionnel (cégeps), par celle du réseau de l’Université du Québec assez largement réparti sur le territoire et par l’instauration du régime gouvernemental de prêts et bourses. Toutes ces mesures voulaient rendre le système d’enseignement plus démocratique et accessible. Elles auront en grande partie réussi. Pourtant, des disparités liées au territoire et aux caractéristiques du milieu d’origine influencent encore l’accès aux études supérieures. C’est d’autant plus préoccupant dans la perspective d’un éventuel dégel des droits de scolarité. Il importe de préciser que l’accès à l’université n’est pas un idéal à atteindre, loin de là! Plusieurs métiers techniques offrent de meilleures conditions d’insertion professionnelle (ce qui est également souvent mal connu). Toutefois, il faut trouver le moyen de donner une chance égale à tous les jeunes d’accéder aux études supérieures, sans égard à la scolarité de leurs parents ou à leur situation géographique. Il s’agit de transformer le dicton « Quand on veut, on peut! » en « Quand on peut, on veut! »
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Notes:
1. Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2005.