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Henri Raymond Casgrain, l’abbé qui voulait être pape

Par Claude La Charité le 2007/09
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Henri Raymond Casgrain, l’abbé qui voulait être pape

Par Claude La Charité le 2007/09

La carrière d’Henri Raymond Casgrain, c’est un peu l’histoire de la grenouille qui voulait être aussi grosse que le bœuf. Ou plutôt l’histoire d’un abbé qui voulait être pape. Non pas pape sur le trône de saint Pierre à Rome, mais pape de la littérature québécoise naissante. En faisant et en défaisant les carrières, en consacrant les auteurs et leurs œuvres, en excommuniant les impies, en canonisant les saints.

On dit que, lorsque le tout premier livre a été publié, un sombre personnage est apparu au même moment pour en dire du mal : le critique littéraire. C’est précisément le rôle, crucial, que jouera notre pape des lettres québécoises. À l’image de cette jeune littérature qui s’invente alors, l’abbé Casgrain est originaire de l’Est du Québec, de Rivière-Ouelle.

C’est à Québec toutefois qu’il fera ses premières armes, en publiant des légendes. Ce genre qui sera si courant dans la suite du siècle, l’abbé Casgrain est l’un des premiers à le pratiquer. Sa première légende, qu’il publie dans Le Courrier du Canada en 1860, s’intitule « Le tableau de la Rivière-Ouelle », en référence à une énigmatique peinture de sa paroisse natale :

« Êtes-vous jamais entré dans la vieille église de la Rivière-Ouelle?

Dans une des chapelles latérales, on voit un ex-voto déposé là, il y a bien des années, par un étranger arraché miraculeusement à la mort.

C’est un tableau bien vieux, bien poudreux, sans grande valeur artistique, mais qui rappelle une touchante histoire. »

L’histoire elle-même est aussi édifiante que prévisible : le jeune homme en prière, à qui la vierge apparaît, est sauvé de la mort par un jésuite qui passe par là. En reconnaissance de ce miracle, le jeune homme offrira un tableau à la première église qu’il croisera.

Si le talent de Casgrain comme auteur brille d’un éclat bien pâle, c’est en écrivant la préface de ses Légendes canadiennes, réunies en recueil en 1861, que le bon abbé trouve sa véritable vocation, celle de critique. En réfléchissant au genre qu’il a pratiqué à tâtons, il fournit sans doute la plus belle description de la légende, qui est à ses yeux « la poésie de l’histoire ». Dans ce siècle soucieux de réfuter Durham en racontant l’histoire nationale par la littérature, la légende apparaît comme un outil précieux qui permet de mettre de la chair sur les squelettes de l’histoire et de leur redonner vie. La légende est le reflet de l’histoire dans l’eau :

Photographie de l’abbé Henri Raymond Casgrain (1831-1904), conservée au Musée de la civilisation de Québec (MCQ), Livernois et Bienvenu, photographes, vers 1866, fonds d’archives du Séminaire de Québec, n° Ph1998-0067, reproduite avec l’autorisation du MCQ.

« Ne vous êtes-vous pas extasiés parfois devant le sublime panorama de notre grand fleuve, quand, par un beau soir d’été, bien calme, il reflète dans le miroir limpide de ses eaux le superbe turban des Laurentides? Telle est l’image que nous nous formons de la légende. C’est le mirage du passé dans le flot impressionnable de l’imagination populaire : les grandes ombres de l’histoire n’apparaissent dans toute leur richesse qu’ainsi répercutées dans la naïve mémoire du peuple. »

Grand esthète, amateur d’art, prosateur fleuri, Casgrain est plus à l’aise pour commenter les œuvres littéraires que pour en écrire, même si la critique littéraire inspirée n’est jamais tout à fait dépourvue de création. C’est le grand poète national Octave Crémazie qui, exilé en France, lui décernera son brevet d’expert en critique littéraire dans une lettre de 1866 : «Dans votre article sur le mouvement littéraire [publié la même année], vous venez de placer la critique dans sa véritable voie […] Personne n’est mieux doué que vous pour créer au Canada la critique littéraire. »
De fait, Casgrain, dans les années suivantes, va multiplier les biographies d’auteur, le genre par excellence de la critique de l’époque. Dans la biographie d’Aubert de Gaspé père (voir le deuxième article de cette série) publiée en 1871, le bon abbé a la mémoire sélective, en recomposant la chronologie de la vie de l’auteur, pour mieux mettre en valeur son propre rôle de chef d’école, d’accoucheur de talents littéraires. Tout juste si notre pape n’a pas écrit Les Anciens Canadiens. Je le disais, la critique n’est jamais tout à fait dénuée d’imagination…

Le bon abbé jouera également un rôle de premier plan dans l’édition des textes littéraires. Casgrain va ainsi à donner en 1882 la première édition des œuvres complètes d’Octave Crémazie, le prince des poètes québécois, dont les poèmes avaient été jusqu’alors seulement publiés de façon éparse dans des revues.

Casgrain va aussi se charger de préparer des éditions de classiques québécois en format de poche pour le compte du ministère de l’Instruction publique. Les premiers textes littéraires d’ici lus dans nos écoles l’ont été dans des éditions de Casgrain. C’est également ces jolis petits volumes rouges, reliés aux armes de la province de Québec, que l’on offrait comme prix à l’école. Ah! l’heureuse époque où la lecture était source d’émulation intellectuelle!

Le bon abbé finira ses jours comme professeur d’histoire littéraire à l’Université Laval, ce qui est assez dire la légitimité institutionnelle que la nouvelle littérature québécoise avait alors acquise. La vision prophétique que Casgrain formulait dans son article sur le mouvement littéraire au Canada se concrétisait : « les premières assises de notre édifice littéraire sont posées ».

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